Propos recueillis par Caroline Rainette

15 octobre 2022

Passionné par la direction d’orchestre, Laurent Douvre fonde en 2012 l’Ensemble de Cuivres Rhône-Alpes, avec lequel il remporte un 1er prix au concours national de Cournon d’Auvergne. En 2011, il rejoint la Musique de la Garde Républicaine et son arrivée à Paris va lui permettre d’intensifier ses activités de direction d’orchestre. Nommé en septembre 2020 à la direction artistique du Paris Brass Band, il occupe depuis début 2021 les fonctions de chef du Brass Band de la Musique de l’Air.

Racontez-nous votre parcours

Je suis un musicien issu de la pratique amateur. J’ai débuté dans l’harmonie municipale de Mâcon, avant d’intégrer le conservatoire de Mâcon en chant choral et percussions ; puis la trompette, l’analyse et l’écriture au conservatoire de Chalon sur Saône. J’ai ensuite étudié la musicologie à l’université de Lyon II. Je suis arrivé à Paris en 2011, suite à mon recrutement en tant que clairon jouant de la trompette à la Musique de la Garde Républicaine, et c’est à cette époque que j’ai découvert la pratique du brass band. En 2013, j’ai pris la direction de l’orchestre d’harmonie Brassage – composé exclusivement d’amateurs – puis, en 2015, du brass band Brassage. En 2018 j’ai rejoint la Musique des Gardiens de la paix en tant que tambour major, puis en 2021 la Musique de l’armée de l’air en tant que chef adjoint. Enfin depuis septembre 2020 j’ai pris la direction du Paris Brass Band. Il est indéniable que mes expériences en orchestre amateur m’ont permis de devenir également professionnel dans la direction d’orchestre.

Je suis arrivé au Paris Brass Band dans une période particulière. Le précédent chef, Florent Didier, devait partir après le British Open en septembre 2020. L’orchestre y avait été sélectionné suite à son résultat exceptionnel en tant que vice-champion d’Europe en 2019. Mais, en raison du contexte sanitaire, le British Open a dû être reporté, et j’ai donc pris en charge ce gros projet, sachant que l’orchestre avait beaucoup changé entre-temps avec notamment des départs de solistes. Le palmarès et le renom du Paris Brass Band sont connus, aussi la tâche était importante, mais j’avais déjà eu cette expérience quand j’avais repris Brassage. C’est l’occasion de mettre l’orchestre dans une nouvelle direction, créer une nouvelle équipe avec pour socle les musiciens qui sont restés, tout en ne décevant ni les musiciens ni les spectateurs, en poursuivant une exigence et de nombreux projets. C’est un beau challenge. La création est importante pour moi, ainsi – et dans la lignée de Florent Didier – nous avons présenté une création de Thierry Deleyruelle au Championnat National de Brass Band 2022, Crazy Twenties, nous préparons une prochaine création pour un championnat, et prochainement nous allons enregistrer un CD avec plusieurs créations.

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Racontez-nous votre expérience au British Open le 10 septembre 2022 au Symphony Hall de Birmingham ?

Le British Open est un concours mythique, créé en 1853. C’est sans doute le plus vieux concours de musique dans le monde, et nous participions à la 168ème édition ! Cet évènement rassemble les meilleurs brass anglais, ainsi que le brass non britannique qui a obtenu la meilleure place au Championnat d’Europe. Le niveau est donc très élevé.

Malgré le report, la pièce imposée n’a pas été modifiée, mais sa commercialisation décalée. Il s’agissait d’une création d’Edward Gregson, The World Rejoicing, commandée par 5 concours (Belgique, Pays-Bas, Norvège, Suisse, et le British Open). Le compositeur s’est basé sur les cinq nationalités de la commande pour développer un choral luthérien que l’on retrouve tout au long de la pièce, ponctué de nombreuses ambiances : procession, duo, danses. La pièce dure 18 minutes, elle est très exigeante et intense, avec beaucoup de jeux d’orchestre, de longs solos, avec d’ailleurs en entrée un trombone solo qui revient plusieurs fois.

La préparation du morceau a commencé en juin 2022. Nous avons fait trois répétitions de 3h qui nous ont permis d’en appréhender les difficultés techniques. Chaque musicien a ensuite travaillé de son côté pendant les vacances, puis en septembre nous avons travaillé 6h par jour tous les jours les deux semaines précédant le concours, avec deux concerts préparatoires en amont du concours.

Dès que j’ai eu la pièce entre les mains j’ai vu qu’elle allait être très difficile. Rien que le début est délicat et explosif avec un solo de trombone que l’orchestre rejoint pour arriver à un cluster. Les nombreuses ambiances sont aussi délicates à gérer, mais se combinaient bien avec les solistes de grande qualité du Paris Brass Band : Emilie Carpentier au cornet principal, Christine Rolland (également présidente du Paris Brass Band) à l’euphonium solo, Clément Roger à l’alto solo et Amélie Caron au trombone. Cette dernière venait d’ailleurs de remporter le prix du meilleur soliste à Amboise. Les résultats de cette compétition (prix de la marche, 1er prix dans la catégorie championship et le prix du soliste) nous avait mis en confiance sur les capacités de l’orchestre et des solistes.

Nous avons vécu une expérience incroyable au British Open !

Nous avons vécu une expérience incroyable : les concerts se déroulaient au Concert Hall de Birmingham, une salle magnifique avec une des meilleures acoustiques pour brass band, 2300 spectateurs dont la plupart avait le conducteur de la pièce imposée sous les yeux, une ambiance hyper chaleureuse. Il n’y a qu’une seule pièce imposée et l’effectif est fixe : 25 cuivres et 5 percussions (exigées par la pièce). Tout est très nomenclaturé et chaque brass est soumis aux mêmes exigences.

Le jour du concours, la pression était présente d’emblée : traditionnellement le premier brass tiré au sort ouvre la compétition en jouant l’hymne britannique, ce qui est un peu stressant en tant que français. Nous avons finalement été quatrième, ce qui nous a permis de passer en fin de matinée, et donc d’écouter beaucoup de brass l’après-midi. Nous étions très contents de notre prestation eu égard à la période de restructuration du Paris Brass Band, nous avons joué la meilleure version de notre préparation, montré l’orchestre au niveau où il en est aujourd’hui. Se reconstruire avec le Championnat de France, l’Open d’Amboise et le British Open est extrêmement motivant ! Et l’écoute des autres brass nous a apporté de nouveaux axes de travail et objectifs. En tant que chef, j’ai pu entendre d’autres interprétations et partis pris. Dans la pratique du brass band, tout est relativement contrôlé, presque mathématique, aussi est-il difficile de réussir à faire vivre la musique, ce que nous avons réussi, du moins il me semble : beaucoup de musique, de couleurs. Le British Open est un milieu très conservateur, avec des orchestres anglais, des jurys britanniques, nous arrivons forcément avec une couleur différente. Beaucoup d’Anglais m’ont fait la remarque, certains ont même trouvé que nous avions une interprétation symphonique de la pièce, ce qui est amusant quand on connait le mouvement symphonique français. Quoiqu’il en soit, il y a une technique d’orchestre incroyable chez les Anglais, tout sonne, tout est toujours équilibré dans les nuances, il y a beaucoup de masse. Nous devons encore travailler sur tout cela, et c’était très formateur de participer à ce concours, car on s’améliore en participant et en observant, cela donne au groupe un objectif commun.

Chaque juré nous a détaillé ces commentaires, avec son ressenti et ses conseils. Tous ont été bienveillants, ils ont souligné le son très qualitatif de l’orchestre et des solistes, mais parfois un petit manque d’endurance sur certaines parties. Mais c’est difficile de rester concentré de la salle de chauffe au dernier accord d’une pièce très longue, et nous avons beaucoup de jeunes musiciens qui sont encore dans cet apprentissage de la gestion du stress, de l’attention, de l’endurance physique. Il faut se connaître soi-même et connaître l’orchestre. Finir à la 14ème place sur 18, dans ce concours si prestigieux, était une très belle récompense, et nous espérons tous être à nouveau qualifiés dans quelques années !

Quel regard portez-vous sur la pratique amateur ?

Tous les musiciens du Paris Brass Band sont issus des orchestres amateurs, des harmonies, batteries fanfares, etc. Nous avons un ancrage local qui nous tient à cœur. A mon sens, le Paris Brass Band, comme les autres brass de catégorie honneur, ont pour mission de montrer une direction. Depuis une dizaine d’années, le Paris Brass Band a beaucoup contribué au développement de la pratique du brass band en France. Nous faisons beaucoup de concerts et de master class, nous aidons des brass bands de plus petite catégorie à travailler, en leur apportant des conseils, des axes de travail, mais aussi du répertoire grâce aux commandes d’œuvres. Et de mon côté, j’ai toujours la même exigence avec n’importe quel orchestre : il s’agit de faire évoluer tous les musiciens et l’orchestre. Mis à part la question du statut entre professionnels et amateurs, il n’y a pas vraiment de différence.

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Parlez-nous de votre expérience au Championnat National de Brass Band ?

Le monde de la musique est petit, celui du brass band un microcosme, on se connait tous. Le Championnat National de Brass Band est donc pour moi avant tout le moment où nous pouvons tous nous rencontrer, ce qui est déjà en soi un évènement. La compétition est évidemment importante pour faire l’état des lieux de l’orchestre et du monde des brass. Quand on voit l’ascension de certains orchestres amateurs, on se rend compte que le mouvement a considérablement monté en 10-15 ans ; de même pour le nombre de brass bands, il y en a de nouveaux chaque année. Le Championnat National de Brass Band c’est donc l’endroit où on peut retrouver tout ce qui concerne le mouvement, le lieu où il faut être. Sans oublier que c’est un enseignement pour tous d’écouter les autres brass, d’échanger avec d’autres musiciens, de discuter avec les facteurs d’instruments qui exposent. Dans cet évènement, il y a la musique évidemment, mais aussi un réel aspect humain et associatif.

Pour nous en catégorie honneur, tous les ans nous retrouvons le Hauts-de-France Brass Band, ce qui est un bonheur. On voit évoluer l’orchestre, on a une relation très complice avec eux. Lors du dernier Open d’Amboise, nous avons dû faire appel à un tromboniste du Hauts-de-France Brass Band en renfort. On s’entraide si besoin, et le jour J chacun donne le meilleur, ce sont de belles relations, très saines.

Il y a peu de femmes dans les orchestres de Brass Band, qu’en pensez-vous ?

C’est un problème qui vient déjà dès l’enseignement des cuivres en France, où il y a souvent moins de femmes que d’hommes. Il y a encore trop peu de brass bands dans les conservatoires. Dans les orchestres anglais, en revanche, il y a beaucoup de femmes, au moins un tiers du brass, ce qui est normal car l’enseignement se fait depuis le collège. En France, les femmes sont plus dans les harmonies en raison de la nomenclature de cette formation.

Pour ma part, en tant que chef, je ne regarde pas si j’ai en face de moi des hommes ou des femmes, mais des instrumentistes, c’est uniquement la qualité du musicien qui compte. Au Paris Brass Band nos solistes principaux sont d’ailleurs des femmes : cornet, euphonium, et trombone solo. Il faut aussi souligner qu’aujourd’hui il y a quand même plus de filles qu’avant dans les classes de cuivre, les choses sont en train de changer progressivement.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Beaucoup de musique, et j’espère que l’équipe du Paris Brass Band va continuer de se consolider au fur et à mesure des projets !