Propos recueillis par Caroline Rainette

15 mai 2021

A 21 ans Marie Célérier, originaire de Charente-Maritime, va intégrer à la rentrée prochaine le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP). Elle a décroché début février l’unique place au concours d’entrée de direction d’orchestre.

Racontez-nous votre parcours

J’ai commencé le saxophone à l’âge de 6 ans à l’école de musique de Saint Savinien. J’avais vu cet instrument à la fête de la musique, ce qui m’a donné envie d’en faire. Je voulais faire du piano aussi, comme beaucoup d’enfants, mais il n’y avait plus de place à l’école, alors je me suis inscrite en saxophone. À 9 ans j’ai intégré le Cercle Musical Savinois, qui regroupe l’orchestre d’harmonie et un quintette de cuivres, dirigé par André Telman et présidé par Claude Guichard. Ma mère s’est mise à la musique après moi, car je lui demandais de venir dans l’orchestre ! Tout en continuant à jouer avec le Cercle Musical Savinois, j’ai intégré le conservatoire de la Rochelle. Un jour André Telman m’a proposé de faire un stage de direction, organisé par le département et ouvert aux personnes qui n’avaient jamais dirigé.

Le chef de l’orchestre d’harmonie de Saint-Savinien m’a dit : “ce serait bien pour toi de diriger, ça peut te plaire”

J’étais encore au lycée, très timide, cela me semblait impossible. Je me suis laissée un peu de temps, et j’y suis seulement allée à la deuxième session, encadrée par Didier Descamps, chef de musique dans les armées. Cela m’a tellement plu que je me suis inscrite une deuxième fois, et il se trouve que l’orchestre support était celui de Saint Savinien. J’ai donc dirigé des gens que je connaissais bien. À l’issue du stage, André Telman m’a proposé de diriger entièrement une pièce, de la première répétition jusqu’au concert. L’orchestre a approuvé, les musiciens étaient d’accord pour participer à ma formation en direction.

Voilà comment j’ai commencé la direction, et cela a duré ainsi pendant 2 ans. Après le bac je suis entrée au Conservatoire à Rayonnement Régional d’Aubervilliers-La Courneuve (CRR 93). Pendant un an je n’ai pas fait de direction mais juste de l’écoute. L’année suivante je suis entrée dans la classe de direction d’Alexandre Grandé.

Même si je suis entrée au CNSM, je continue à travailler avec le Cercle Musical Savinois car j’apprends beaucoup avec eux. Nous nous rassemblons avec les orchestres d’harmonie de Saint-Jean d’Angély et Matha pour former l’Harmonie des Trois Vals afin de monter des pièces plus ambitieuses et d’avoir tous les pupitres représentés. J’ai aussi dirigé à quelques occasions l’orchestre symphonique des Vals de Saintonge (OSVS), dirigé par Francis Gardré. Travailler avec ces orchestres est aussi une manière de mettre en pratique tout ce que je peux apprendre dans les cours de direction, mais aussi de chercher des choses, de voir si ce qu’on a envisagé fonctionne ou non, de trouver d’autres solutions. C’est un peu un laboratoire d’expérimentation, et les musiciens sont adorables !

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Comment appréhendez-vous la direction ?

C’est rassurant de diriger des musiciens qu’on connait bien, car on sent dans leurs regards qu’ils nous encouragent, même quand on se trompe ils sont présents de tout leur cœur pour jouer au bon moment. Mais on a aussi évidemment peur de les décevoir…

En revanche j’ai très peu fait de direction avec des musiciens que je ne connaissais pas. Cela m’est arrivé pour le concours du CNSM, mais c’était trop rapide, et surtout le stress était tel que je n’ai pas pu vraiment me rendre compte.

Les concerts sont toujours des moments inattendus

Dans tous les cas, il faut être hyper efficace ! Les concerts sont toujours des moments inattendus, même si on a beaucoup travaillé avec l’orchestre, il peut toujours se passer quelque chose qu’on ne maitrise pas. Avec l’Harmonie de Saint Savinien nous avions déjà joué plusieurs fois une pièce que nous aimions tout particulièrement. Tout se passait bien pendant le concert, tous étaient à l’écoute, les trompettes devaient partir mais je me suis tournée un peu trop tard vers elles – pensant qu’il n’y aurait pas de problèmes puisque tout le monde connaissait très bien le morceau – or là, je vois la moitié des musiciens avec la trompette sur les genoux ! Tout le monde écoutait la musique, le moment de clarinettes qui était très beau, et les musiciens ont oublié de se préparer. Cela prouve que même avec beaucoup de travail, il faut s’attendre à tout.

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Comment avez-vous préparé le concours du CNSM ?

Mon DEM (Diplôme d’études musicales) de Formation Musicale m’a servi pour l’épreuve écrite éliminatoire : dictées, épreuves d’oreille, questions sur les instruments.

Ensuite le premier tour consistait à enchainer deux morceaux avec deux pianos. J’ai préparé cette épreuve avec mon professeur de direction à Aubervilliers, Alexandre Grandé, car il y a deux pianos pour le cours de direction. Je me suis donc entrainée comme pour l’épreuve, avec cinq cours entre la sortie du programme et le concours.

Le deuxième tour se passait avec l’orchestre. Pour travailler cette épreuve j’ai demandé à des amis du conservatoire de m’aider pour m’entrainer avec eux.

J’ai beaucoup travaillé pendant cette période, qui a été très intense, et j’ai dû supprimer beaucoup d’autres cours pour me concentrer sur le concours.

Il y a encore peu de femmes en direction d’orchestre, voyez-vous une évolution ?

Je pense avoir de la chance car cela n’a jamais posé problème à Saint Savinien que je sois une fille, au contraire tous les musiciens étaient bienveillants. À Aubervilliers nous sommes quatre dans la classe, deux filles et deux garçons. Beaucoup de filles présentent le concours. Ainsi au CNSM nous serons huit, dont trois filles, c’est-à-dire presque la parité. Les choses sont en train de bouger pour celles qui sont aujourd’hui en formation, ce qui est très encourageant. Quand on a quelque chose à dire, fille ou garçon, on peut y arriver, il faut y croire et travailler, le sexe n’est plus discriminant !

Comment voyez-vous votre avenir professionnel ?

J’aimerais diriger un orchestre, mais la dimension pédagogique est aussi très importante pour moi, alors pourquoi pas enseigner le saxophone ou la contrebasse que je viens de commencer. On verra ce qui se passera dans cinq ans après le CNSM, je reste ouverte à tout !

Quoiqu’il en soit, j’aime énormément travailler avec les amateurs, notamment en raison de cette dimension pédagogique. C’est très formateur pour le chef, car cela nécessite d’apporter des solutions qui ne sont pas uniquement techniques ou musicales à des problèmes souvent inattendus. Le contact y est très humain, il y a de très beaux moments en répétition, parfois le blocage est simplement psychologique, dans la représentation que le musicien se fait de la musique, du passage en question, ou encore dans la relation même avec ce musicien. C’est passionnant de travailler avec les musiciens amateurs, qui sont heureux d’être là et donnent tout à chaque fois qu’ils jouent. J’aime beaucoup le travail en répétition avec eux, le processus créatif, chercher des solutions pour résoudre les problèmes.

C’est passionnant de travailler avec des musiciens amateurs

Pour l’instant je me vois donc plutôt travailler avec des orchestres amateurs, mais je n’ai encore vraiment jamais dirigé d’orchestre professionnel… Cela me fait un peu peur car il y a beaucoup de traditions dans ces orchestres et il faut être à la hauteur de musiciens qui font ce métier depuis des années, qui ont déjà joué de nombreuses fois les pièces et qui ont déjà leurs idées. Avec un orchestre amateur, on est beaucoup plus libre.

Côté programme, j’aimerais que les choses bougent pour les orchestres d’harmonies. En effet l’harmonie est encore trop décriée, on dit que ce n’est pas de la grande musique, contrairement à l’orchestre symphonique. Or il y a beaucoup de belles œuvres dans la musique d’harmonie, y compris à haut niveau. J’aimerais diriger un orchestre d’harmonie de haut niveau pour montrer qu’on peut faire de la belle musique avec un orchestre d’harmonie ! Des pièces contemporaines, des créations, mais aussi des pièces un peu datées qu’on ne joue pas, qu’on ne connait pas. Pour ma part je suis très éclectique. Je ne viens pas d’une famille de musiciens et je n’ai pas reçu une culture musicale classique pointue, chaque jour je découvre de nouvelles œuvres dans tous les styles, ce qui est formidable ! J’adore la musique baroque. J’écoute aussi beaucoup de musique contemporaine et de jazz, sans doute parce que je suis saxophoniste. Le saxophone est un instrument récent, il y a peu de répertoire en dehors du jazz, il faut donc faire des arrangements pour jouer du classique, ce qui me plait beaucoup. Il n’y a pas une longue tradition derrière nous, c’est là aussi une grande liberté !

Comment vivez-vous cette période particulière de pandémie ?

En tant qu’étudiante, j’ai beaucoup travaillé pendant le premier confinement. J’avais besoin de me reconstruire, je me suis fait des emplois du temps très chargés : analyse, histoire, recherches et travail sur l’instrument. Ça a été une période très riche qui m’a beaucoup apportée, même si côté direction tout était à l’arrêt. Nous avions des cours en visio, et notamment un exercice sur les expressions faciales, ce qui est très difficile : il fallait se filmer chez nous en train de diriger dans le vide, les vidéos étaient ensuite analysées pour s’améliorer. Le chef d’orchestre, un peu comme au théâtre, exprime beaucoup de choses par les gestes : le tempo, la mesure. Le caractère aussi s’exprime par l’attitude corporelle. Quand on se filme seul chez soi, sans musique, si on veut que les autres suivent, il faut être très expressif au niveau du visage. Ce temps de travail est autant de temps de gagné ensuite pour la direction, car les musiciens ont besoin qu’on leur donne du sens (joyeux, triste, une évolution…).

Après le premier confinement j’ai eu beaucoup de chance car il n’y a jamais vraiment eu d’arrêt au conservatoire d’Aubervilliers. Certains cours ont basculé en visio, mais les cours de direction ont été maintenus avec les pianistes. En outre, l’allègement de l’emploi du temps m’a permis d’avancer plus rapidement.

Du côté de l’orchestre, de manière parfaitement inattendue, cela nous a ressoudé. Lors du premier confinement, ne pouvant pas jouer nous avons créé un groupe Skype où tous les samedis, à l’heure des répétitions, nous nous retrouvions pour discuter. Peu à peu, on s’est organisé, et chacun jouait ou faisait écouter un morceau. On partageait des moments tous ensemble. Certains ont ainsi pu se motiver pour ressortir l’instrument. On faisait des jeux, comme faire deviner le morceau qu’on jouait, etc. L’été nous nous sommes retrouvés par petits groupes pour jouer un peu, pendant les vacances. Nous avons conservé ce système par la suite : Skype et petits groupes. Cela fait un moment que nous répétons à six, cinq musiciens plus le chef. Ça n’a rien à voir avec l’orchestre évidemment, mais cela nous a permis de bien avancer, car en réalité beaucoup de musiciens se cachent dans la masse, ce qui est impossible en petit groupe. On peut travailler précisément sur les difficultés de chacun. L’écoute est également différente : à cinq tout le monde peut s’entendre, ce qui n’est pas évident à quarante.

Le confinement a rassemblé l’orchestre, personne ne s’est désisté, n’a arrêté

Nous avons également réalisé des vidéos confinées. La première pour le 8 mai, car habituellement nous jouons pour les cérémonies de commémorations, ce qui est un revenu vital pour l’association. Nous avons enregistré la marche des Alpes. Puis une vidéo pour la fête de la musique en juin, et une autre pour Noël avec, pour s’amuser, les chefs en train de diriger. Les vidéos confinées permettent aussi de motiver tout le monde, les musiciens ont répondu présents, et nous avons même eu plus de vidéos que prévu !

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Cette période nous a donc rassemblé, personne ne s’est désisté, n’a arrêté. C’était un gros enjeu, car il fallait réussir à rester motivé malgré l’absence de l’orchestre, et l’absence de perspective de concert. Je pense que les musiciens ont été contents de ce que nous avons réussi à faire. Ce n’est pas une si mauvaise expérience, mais on espère évidement que tout va revenir à la normale, car nous avons tous très envie de jouer tous ensemble !

Quoiqu’il en soit, je pense qu’à l’avenir nous conserverons la pratique par petits groupes. Il faudra évidemment réfléchir à leur formation – étant donné qu’actuellement ils sont surtout constitués avec les aléas des uns et des autres – mais il peut être intéressant de travailler par pupitre par exemple, où l’écoute est différente. Les musiciens ont pris l’habitude de devoir chercher des voix car parfois il manque le thème, la mélodie. En cherchant à maintenir le lien au sein de l’orchestre, nous faisons aujourd’hui plus attention les uns aux autres, on a conscience que tout le monde est fragile.

Il faut cependant noter que cette période a été très compliquée financièrement pour l’orchestre, en nous supprimant un revenu vital que sont les cérémonies de commémoration du 8 mai et 11 novembre, mais aussi les concerts, tandis qu’il y avait un chef d’orchestre à rémunérer, des frais divers… La fin d’année a été très difficile.

Grâce à la CMF, nous avons opté pour un système de dons déductibles des impôts, où chaque musicien donnait ce qu’il voulait. Cela nous a permis de tenir et cela prouve une fois de plus l’engagement des musiciens et le lien qu’ils ont à l’harmonie ! Nous sommes malgré tout inquiets pour l’avenir, les subventions de la municipalité ayant drastiquement baissé, et certains concerts sont encore annulés ou incertains… Mais nous comptons sur notre enthousiasme pour trouver de nouvelles solutions !