Propos recueillis par Caroline Rainette

15 octobre 2022

Thibaut Bruniaux est compositeur, chef d’orchestre et enseignant. Ses projets sont des plus diversifiés, de la musique pour orchestre à la musique de chambre, en passant par la comédie musicale et les spectacles pour enfants, avec le souci constant de rendre toujours sa musique accessible au plus grand nombre. Il a été finaliste au concours de composition de l’European Brass Band Association (EBBA) en 2022.

Racontez-nous votre parcours

Trompettiste et pianiste, j’ai commencé la musique dans la fanfare municipale de Pont-sur-Sambre. Plus tard, j’ai fait mes études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en écriture et analyse, puis j’ai obtenu mon Diplôme d’Etat en formation musicale et mon certificat d’aptitude en écriture au CNSM de Lyon. J’enseigne l’écriture musicale depuis 2012 au CRR de Lille.

En 2014, avec un groupe d’amis, nous avons créé le Brass Band du Hainaut. Il s’agissait pour moi d’avoir un nouvel objectif, plus personnel, après la fin des études et c’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à composer. L’orchestre est très varié, il rassemble des musiciens amateurs, mais aussi des professeurs d’écoles de musique. Nous répétons une fois par semaine, et nous avons la chance d’avoir beaucoup de concerts. Nous avons participé quatre fois au Championnat National de Brass Band, qui est toujours un moment particulièrement fort et important pour le groupe. Tout d’abord, la préparation en amont demande de remettre une grande exigence au cœur de l’ensemble, avec des fréquences de répétition éventuellement plus importantes, mais surtout un investissement de chaque musicien et du groupe qui créé un esprit fédérateur, qui soude plus encore l’ensemble. Puis vient le week-end du concours, où l’on retrouve les amis des différents brass, où l’on découvre d’autres pièces et d’autres ensembles, un formidable moment d’échanges, auquel on aime participer sur scène ou comme spectateur.

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La composition est, outre un partage musical, une expérience humaine.

Parlez-nous de votre travail de composition

Je compose principalement pour brass band et orchestre d’harmonie, même si j’ai aussi écrit pour des projets plus variés comme des musiques de scène. Je n’ai pas vraiment de processus défini, c’est assez varié : au piano, à la table, sur ordinateur… Tout dépend des circonstances. Evidemment le piano reste un moyen privilégié, mais composer à la table permet de prendre plus de recul.

Mes premières idées de composition viennent la plupart du temps d’images, réelles ou mentales. J’élabore aussi souvent un scénario pour aider au développement de l’idée de départ. La création est un processus long et difficile à expliquer, les idées peuvent venir de manière très aléatoire et à partir de sources très différentes.

Composer pour le Brass Band du Hainaut est évidemment toujours un moment très enthousiasmant : je compose sur mesure en fonction des musiciens, de leur niveau, je sais comment sonne l’orchestre ce qui permet d’adapter au mieux à l’effectif. C’est une vraie complicité et un grand bonheur de diriger sa propre pièce : la composition devient alors, outre un partage musical, une expérience humaine, ce n’est que le point de départ d’une relation qui va durer dans le temps.

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Racontez-nous votre expérience au concours de composition de l’European Brass Band Association (EBBA) ?

J’avais été sélectionné en 2020 pour participer au concours de direction de l’European Brass Band Association à Palanga en Lituanie. L’évènement a été annulé en raison de la crise sanitaire, mais j’avais très envie de participer malgré tout à ce concours très prestigieux pour les brass bands. L’édition 2022 était la dernière à laquelle je pouvais participer (en termes de limite d’âge), aussi ai-je décidé de tenter le concours de composition. Mon objectif était avant tout de participer, de me challenger, je ne m’attendais pas du tout à être sélectionné, cela a été une énorme surprise !

Avant la finale, il était prévu une séance de travail avec l’orchestre, en l’occurrence le Grimethorpe Colliery Band, mais finalement l’échange s’est fait en visio avec le chef, David Thornton. J’ai donc entendu véritablement la pièce pour la première fois le jour de la finale, le 29 avril 2022. En tant que compositeur, on a toujours une image sonore intérieure précise, et l’interprétation apporte toujours des subtilités nouvelles, une réelle appropriation de la pièce. Le Grimethorpe Colliery Band, un brass band d’excellent niveau, a évidemment délivré une magnifique interprétation !

Le thème du concours était libre, ce qui est très agréable pour travailler. J’ai intitulé ma pièce Insecurity, car elle relatait l’état d’esprit du moment, en pleine crise sanitaire.

Note de programme Insecurity

L’insécurité est devenue au fil des années un sujet récurrent, un leitmotiv politique, une sensation ineffable mais omniprésente ; à tel point que ce sentiment paralyse nos vies quand bien même cette insécurité n’est que superficielle au regard d’autres situations réellement dangereuses que le monde connaît aujourd’hui.

La pièce Insecurity tente de décrire cette distance entre un sentiment d’insécurité réel et un simulacre d’angoisses de tous horizons. La musique est dense, brutale, en contrastes et en nuances permanents ; celle-ci alterne entre des mesures rapides et oppressantes et des moments beaucoup plus méditatifs, lents, résonnant comme un appel du retour au calme, une prière pour un monde meilleur, ou même la nostalgie d’un passé perdu à jamais.

Le motif principal, court et legato, exposé dès les premières mesures par les basses, est ensuite repris et transformé tout au long de la pièce, puis est rejoint par un second motif, plus explosif, aux cornets puis trombones. Les passages lents et méditatifs donnent de belles contributions aux solistes (bugle, euphonium, cornet, baryton et cornet soprano) pour amener à un thème choral intense et dense. Les sections s’enchaînent, toujours en total contraste, et la pièce termine par une synthèse effrénée pleine d’énergie.

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Pouvez-vous nous parler de la pièce que vous avez récemment écrite pour les 10 ans de l’inscription au patrimoine de l’UNESCO du bassin minier du Nord-Pas de Calais ?

L’harmonie de Burbure m’avait commandé une pièce pour les 10 ans de l’inscription au patrimoine de l’UNESCO du bassin minier du Nord-Pas de Calais. Il s’agissait aussi, après la pandémie, de remettre en route les orchestres qui avaient beaucoup soufferts de la situation. La pièce devait donc être d’un niveau accessible à un maximum d’harmonies, et la partition disponible jusqu’à la fin 2022 pour celles qui souhaitaient la travailler. C’était donc un très beau projet, avec cette contrainte rigoureuse d’écrire pour tous niveaux. Enfin il s’agissait par la même occasion de mettre à l’honneur Augustin Lesage, peintre spirite issu d’une famille de mineurs qui fait intégralement partie de l’histoire de la ville. Le deuxième mouvement lui est d’ailleurs consacré.

La pratique amateur connait aujourd’hui un défi majeur de renouveau.

Quel est votre regard sur la pratique amateur ?

C’est un milieu qui m’est cher car j’y ai débuté tout petit. Je travaille avec des orchestres très différents, aussi je vois ce qui s’y passe. La pratique amateur connait aujourd’hui un défi majeur de renouveau, que la pandémie n’a pas arrangé. Il est important de faire perdurer cette pratique, qui connait dans certains ensembles des moments compliqués… En effet, tous les musiciens ont commencé par la pratique amateur, et la plupart y restent. Il faut donc absolument resserrer les liens entre la pratique amateur et les institutions. Il faut aussi remettre en question les objectifs des ensembles pour avoir de nouveaux projets, de nouvelles collaborations, et attirer un public nouveau. Aujourd’hui, les sollicitations sont plus nombreuses pour les jeunes, il est donc nécessaire de trouver un moyen de les attirer dans nos orchestres, car ils ne savent pas du tout comment cela fonctionne. Ce n’est pas la même chose de faire partie d’un ensemble et d’aller voir un orchestre en concert. Outre la musique, il faut mettre en valeur tout ce qui est extra musical : l’humain, les émotions, les rencontres.

Le répertoire a évidemment une influence sur l’attractivité des orchestres, on doit construire des programmes variés, équilibrés au niveau des esthétiques. En effet le programme est important pour les musiciens, le chef, mais aussi pour le public qui est la finalité de l’ensemble. Il faut trouver des compromis pour que ce soit attractif pour tout le monde, or si les musiciens raffolent de musique originales et de défis techniques pour progresser, ce n’est pas forcément le genre de pièces qui plaisent le plus au public. Dans ce cas nous avons une mission d’éduction à mener, il faut présenter les pièces afin que le public puissent les comprendre.

Avez-vous une ou deux anecdotes qui vous ont marqué ?

Avec le Brass Band du Hainaut, j’ai eu la chance d’écrire deux fois de suite la pièce au choix pour le Championnat National de Brass Band. C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai rencontré mon éditeur. Lors de ces deux championnats, j’étais donc à la fois chef et compositeur, donc deux fois plus d’émotions : on écrit la pièce pour le groupe et on la défend avec le groupe ! On partage quelque chose de très fort avec l’orchestre, qui est très fier, il n’y a que du positif dans ce travail très intense pour le concours.

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Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

J’espère que mon travail de composition va continuer, que je rencontrerai de nouveaux ensembles, et aussi peut-être écrire pour l’image, ce que j’ai très envie de découvrir.