Un film de Philippe Béziat

Documentaire, 1h48

Sortie le 23 juin 2021

Une plongée instructive et émouvante dans le processus de création de l’opéra Indes Galantes de Rameau à l’Opéra Bastille en 2019, où danseurs urbains, chanteurs lyriques et musiciens classiques œuvrent ensemble dans l’harmonie et le respect de chacun pour donner vie à cette œuvre baroque que l’on découvre sous un autre jour.
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LES INDES GALANTES

Production donnée à l’Opéra national de Paris du 27 septembre au 15 octobre 2019

Musique : Jean-Philippe Rameau
Livret : Louis Fuzelier
Direction musicale : Leonardo García Alarcón
Mise en scène : Clément Cogitore
Chorégraphie : Bintou Dembélé

C’est une première pour 30 danseurs de hip-hop, krump, break, voguing… Une première pour le metteur en scène Clément Cogitore et pour la chorégraphe Bintou Dembélé. Et une première pour l’Opéra de Paris. En faisant dialoguer danse urbaine et chant lyrique, ils réinventent ensemble le chef-d’œuvre baroque de Jean-Philippe Rameau, Les Indes Galantes. Des répétitions aux représentations publiques, c’est une aventure humaine et une rencontre aux enjeux politiques que nous suivons : une nouvelle génération d’artistes peut-elle aujourd’hui prendre la Bastille ?

Entretien avec Leonardo García Alarcón, chef d’orchestre

Spécialiste reconnu dans le répertoire baroque italien et français, Leonardo García Alarcón a dirigé Les Indes galantes à l’Opéra Bastille, à la tête de son Orchestre Cappella Mediterranea. Le chef d’orchestre helvético-argentin nous parle de sa collaboration étroite avec le metteur en scène Clément Cogitore et la chorégraphe Bintou Debélé, des défis relevés lors de la création du spectacle ainsi que de sa vision sur la place de l’opéra baroque dans la création scénique contemporaine.
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Entretien avec Clément Cogitore, metteur en scène & Bintou Dembele, chorégraphe

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Entretien avec Philippe Béziat, réalisateur

Propos recueillis par Sylvain Prudhomme

Cette aventure commence il y a trois ans, au moment où Clément Cogitore accepte la proposition de monter Les Indes Galantes à l’Opéra de Paris. Presque tout de suite naît le projet d’un film documentaire qui suivra cette mise en scène. Qu’est-ce qui à l’époque vous enthousiasme dans cette aventure ?

D’abord l’idée de faire un film musical qui ne parle pas que de musique. Je fais depuis toujours des films musicaux, des films sur la musique, c’est-à-dire que la musique est pour moi la matière d’un travail cinématographique. Il y a des réalisateurs qui adaptent des romans, moi j’adapte des œuvres musicales. Et même si ça peut paraître étrange, je ne les adapte pas sous forme de fictions : ce qui m’intéresse, c’est de montrer des artistes au travail et de faire des liens entre les œuvres et la vie. Quand j’échange pour la première fois avec Clément Cogitore, je suis frappé par la netteté de ses axiomes et de son dispositif, qui relèvent pour moi d’une proposition d’artiste contemporain, plus encore que de metteur en scène au sens classique – cela dans un endroit plutôt conservateur, l’Opéra de Paris. Évidemment, tout de suite ça me passionne. Et presque tout de suite aussi, je sens que le groupe de danseurs qu’il va inviter sur le plateau sera au cœur de l’expérience. Que la matière du film documentaire se trouvera là : dans le regard que ces danseurs vont porter sur l’institution. Dans la façon dont ils vont l’aborder, la vivre, la traverser.

Ce choix de tout raconter à travers le regard des danseurs s’impose d’emblée ?

Presque. Le regard des danseurs est le fil conducteur, l’axe du film. Au tout début, avec Philippe Martin, mon producteur, nous étions assez fascinés par la puissance de Clément Cogitore, à la fois plasticien, cinéaste, photographe, sa manière de réussir tout ce qu’il entreprenait, de façon très humaine et très fine. Il y aurait pu y avoir un film sur le côté démiurgique de l’acte de création. Mais pour moi, le grand geste de Clément, c’est d’amener sur ce plateau des gens qui n’y ont jamais été invités, et de leur faire jouer quelque chose qui se rapproche de leur propre rôle. C’est-à-dire de les placer non pas dans un rôle d’interprètes censés entrer dans un costume qui les cachera, mais au contraire de les faire jouer à vue, de mettre en situation une authenticité qui rendra visible leur énergie, leur identité, leur personne, leur éventuelle résistance à l’institution. Le contraire en somme d’un metteur en scène qui n’aurait qu’une vision et qui demanderait à tout le monde de s’y plier.

Le documentaire a parfois tendance à se limiter à quelques personnages pour qu’on puisse mieux s’identifier à eux, mais ici, vous touchez à une expérience collective inédite…

Tous les personnages du film, danseurs ou non danseurs, viennent d’horizons extrêmement différents. Entre la soprano Sabine Devieilhe et un vogueur, entre un krumpeur et un machiniste, il est évident que ce sont des univers très distincts. L’opéra pour moi, fabriquer un opéra, monter un opéra, ça reste toujours une métaphore de la collaboration, d’un projet collectif autour duquel on se réunit un temps donné pour réussir à créer un objet qui nous dépasse tous. Et cette fois, en plus, s’agrégeait à la diversité habituelle du collectif de l’opéra un groupe très important, très large, lui-même d’origines très variées, qui a fait complètement groupe et corps avec les machinos, avec les chanteurs, avec le chef d’orchestre. Ce collectif a vraiment pris corps. Et je voulais absolument insister sur cette dimension collective.

Chanteurs, solistes et danseurs se fondent dans un seul groupe, malgré un comportement très différent.

Il arrive que les chanteurs ne soient pas très à l’aise dans leurs déplacements ni dans l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes et de leur corps, ils peuvent sembler décentrés ou peu ancrés sur le plateau. C’est étonnant, parce que leur corps est leur instrument. C’est de leur corps que dépend leur voix et le rapport qu’ils entretiennent avec leur voix peut être finalement assez cérébral. Les danseurs en général, et les danseurs de ces danses urbaines en particulier, à peine arrivés sur le plateau, dégagent le contraire : des corps centrés, des corps qui ont commencé par se détendre, se dénouer, faire une demi-heure de yoga, respirer, qui sont dans la perception des autres autour d’eux. Ce qui est fascinant dans ces arts, c’est le rapport à l’improvisation. En fait c’est l’inverse de l’opéra. Bintou Dembélé, la chorégraphe du spectacle, nous expliquait qu’en hip-hop, quand on fait deux fois la même chose, ce n’est pas bien. Donc on ne peut être que dans l’invention, l’inspiration, le renouvellement. C’est-à-dire être sur la brèche tout le temps. L’esprit est en permanence éveillé, profondément attentif à tout ce qu’il peut saisir autour de lui. En fait, c’est une leçon de chaque instant pour les interprètes «classiques».

Il y a aussi une dimension spectaculaire du film, plus que dans vos films précédents peut-être. C’est un film devant lequel on vibre.

C’est une dimension qu’assume déjà Clément Cogitore dans sa mise en scène. Tout en questionnant à chaque instant la société du spectacle, il choisit d’assumer le fait que l’opéra est profondément un art de la sidération, de la machinerie, de l’émerveillement – notion fondamentale dans ce répertoire baroque. Pour moi un film se construit comme une symphonie, avec des temps forts, des adagios, des creux, des pauses, et des tempêtes. En espérant qu’en plus de vibrer devant une œuvre spectaculaire, le spectateur soit ému. Être à la fois dans la sensation et dans l’intelligence, à égalité, c’est la grande magie des œuvres de cette époque.

Clément Cogitore voulait faire entrer « la ville » sur le plateau. « Montrer la jeunesse de Paris en train de prendre la Bastille ». Il interroge les rapports de domination depuis l’intérieur de la caverne merveilleuse. Vous, vous sortez de la caverne, explorez le rapport entre les deux mondes, celui de l’Opéra et celui de la ville. C’est une façon de poursuivre à l’extérieur le travail qu’il entreprend au plateau ?

Je ne pouvais pas, en tant que cinéaste, ne pas répondre à la question que posait Clément à partir de Rameau. Lui est au plateau, il pose des questions au plateau. Et moi je fais un objet de cinéma, qui se nourrit du monde réel. C’est ce qui me fascine dans les grandes œuvres d’art : à quel point elles peuvent faire écho à notre vie aujourd’hui, individuellement. Parfois ce sont des échos narratifs, psychologiques, biographiques, parce qu’on s’identifie à un personnage. Mais c’est souvent beaucoup plus abstrait. Pourquoi une musique composée en 1735 continue à nous bouleverser ? Pourquoi, même avec un livret assez bancal comme celui des Indes Galantes, l’association des mots « Tendre amour » et de quatre notes sur une portée musicale peut encore nous faire pleurer trois siècles plus tard ? C’est vraiment la question de l’art. C’est ce qui m’intéresse essentiellement : montrer des personnages confrontés à une résonance entre une œuvre d’art et la réalité de leur vie. Si en plus mon spectateur peut vivre cette résonance, je suis ravi.

Si le film a cette force, c’est aussi par l’intimité qui s’est peu à peu construite avec les personnages. On sent une familiarité bâtie sur un temps très long. Combien de temps a duré le tournage ?

Deux ans. On a commencé en octobre 2017, pour terminer le 15 octobre 2019. Parce qu’on a eu la chance de pouvoir filmer très en amont, dès les premières séances de travail avec Bintou et Clément, dès les castings de danseurs et de chœurs, ce qui a contribué à nourrir les allers-retours temporels dans le film. Au début, c’était un tournage seulement de temps en temps, pour documenter des moments importants. Et puis quand les répétitions ont commencé, à partir de fin août 2019, on s’est mis à tourner beaucoup plus, pas tous les jours mais presque, jusqu’à la générale et la première, et puis un peu au-delà.

Est-ce un film qui réconcilie ? Qui casse l’image d’un opéra élitiste, pour le rendre soudain plus accessible, plus proche ?

J’aimerais beaucoup. Je souffre énormément des étiquettes, des chapelles, de tous ces cloisonnements entre musique classique, rock… Toutes ces catégories me frustrent profondément, car j’ai l’impression que ce sont seulement des catégories sociales, « culturelles », au mauvais sens du terme, et pas des catégories vraiment humaines. Clément Cogitore a une belle formule dans le film : « Un stétérotype, c’est un personnage avec lequel on n’a pas passé assez de temps, dont on ne nous a pas assez raconté l’histoire. » J’essaie, par petites touches, de faire tomber les stéréotypes et de les faire tomber de tous côtés, aussi bien ceux qu’il peut y avoir du côté du monde de l’opéra à propos des cultures urbaines, que ceux qu’il peut y avoir du côté des cultures urbaines à propos de l’opéra. N’importe qui peut apprécier Rameau. N’importe qui peut apprécier le krump. C’est ce que me disaient les krumpers : venez nous voir, vous allez adorer. C’est juste qu’il y a des barrières. Et j’aime l’idée qu’un film puisse faire tomber les barrières.

Que penser de cette phrase de Féroz, l’un des danseurs, qui clôt quasiment votre film au sujet des spectateurs de l’Opéra Bastille : « Ce n’est pas eux qui sont venus nous voir, c’est nous qui sommes venus les voir » ?

Un autre danseur, Meech, m’a dit aussi : «Je me suis clairement trompé sur le public de Bastille, le public cliché… Je pensais qu’il n’allait pas réagir, eh ben si, il a réagi !». Ingrid et Isabelle m’ont dit : «La mixité culturelle au plateau, c’est bien, mais on aurait aimé qu’elle soit aussi dans la salle, parmi le public…» Et Féroz encore : «L’appropriation culturelle, ça a toujours marché, mais parfois je me dis qu’on est venu amuser la Cour… Mais peut-être que quelque part, nous-mêmes, on s’empêche de rêver grand ? …» Ces «eux» et ces «nous» révèlent une perception et un état de la société. Ils font mal. Le temps des douze représentations des Indes galantes à Bastille, douze «rencontres» ou douze «face à face» plateau-public, le spectacle de Clément permettait à qui voulait bien de rebattre les cartes. C’était son devoir d’artiste. C’est exactement là qu’ambitionne de se trouver le film.