Par Nancy Dupont, Présidente de l’association

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François Thuillier et Denis Leloup viennent à la Réunion fêter les 10 ans de l’OREHA

Quand la musique se partage : semer des vocations, récolter la passion.

Patrice Brisson, tromboniste, professeur de trombone, a créé en 2011 l’association OREHA, Orcheste REunionnais d’Harmonie, avec quelques amis. Un orchestre à petit effectif, composé de musiciens professionnels et d’élèves ou amateurs de bon niveau. Il s’agit d’y partager la musique entre musiciens et avec tout public, en toute occasion. Nous souhaitons former à l’écoute, susciter des vocations, mais aussi faire évoluer les répertoires et les pratiques d’orchestre. Ainsi notre association défend la rencontre entre pairs, la rencontre avec des artistes d’exception, la réflexion sur la création et le répertoire.

Nancy : – Patrice Brisson, tu es directeur artistique de l’OREHA, président de la FMR-CMF Réunion, tromboniste, professeur de trombone : nous avons fêté les 10 ans de l’OREHA en octobre 2021, lors d’un événement qui s’est déroulé sur 10 jours. De quoi s’agissait-il exactement ?

Patrice : – D’abord je souhaitais une nouvelle création. Comme nous avons la chance d’avoir ici un compositeur qui connaît bien notre orchestre, puisqu’il compose, et même joue avec nous depuis les débuts de l’association, j’ai sollicité Jean-Luc Trulès, pour la commande d’une création contemporaine, avec 2 solistes de renom : François Thuillier au tuba, Denis Leloup au trombone. L’univers créatif de Jean Luc Trulès m’intéresse parce qu’il est imprégné des rythmes de notre zone Océan Indien, mais aussi très personnel, original.

Je lui donne la nomenclature de notre petit orchestre, et il compose en tenant compte de chaque pupitre. Nous travaillons ensuite l’équilibre, c’est comme un travail de musique de chambre, très précis, qui permet la souplesse. La création est contemporaine et fait dialoguer les solistes avec l’orchestre, les solistes entre eux, fait dialoguer aussi tous les musiciens entre eux, et laisse la part belle à des moments d’improvisation, pour les solistes mais aussi pour d’autres musiciens.

Nancy : Jean-Luc Trulès, lorsqu’on te passe la commande pour cette création, comment te vient l’idée de Papangaz ?

Pour composer je m’inspire de nos légendes. Je crée des fictions où les croyances, les fantasmes des Mascareignes trouvent leur place. Je cherche un personnage qui libère mon imaginaire, un personnage à aimer, pour tisser sa vie, rythmer ses paysages, ses crises, ses joies, chanter sa mort et le temps qui passe.

En composant, j’aime vagabonder à travers les styles et prendre des libertés. Coller les timbres de la brousse sur des trépidations urbaines, et nouer l’énergie spontanée à la réflexion mathématique.

Plus j’avance en âge, plus je suis à l’écoute …

J’imagine un être qui voit les choses avec recul. Tel un chamane, qui perçoit les secrets intimes des éléments, interprète le souffle du vent.

L’oiseau est le véhicule idéal pour surfer d’un monde à l’autre. Il est à l’aise sur terre, en l’air, en mer. On dit que le paille en queue va pêcher au sud de Madagascar. Quel bel oiseau !

Et le papang !?

C’est un oiseau de légende. Il a une vision panoramique du monde créole et sa réputation n’est plus à faire.

Ce monde métis en évolution accélérée, moderne et archaïque, qui connaît l’esclavage et la surconsommation, ce monde est le sien.

L’image que je retiens du papang c’est sa liberté. Son caractère imprévisible, brut, qui fait peur. Il vit au cœur de la nature sauvage.

… Et dans ma création, je veux parler de l’environnement.

Dans l’imaginaire créole, le papang c’est un kanyar, un sauvage, un rapace qui cache son nid dans les fourrés inaccessibles. Le mystère plane autour de lui et le rend sympathique à mes yeux.

On raconte qu’il osait voler le chapeau des colons sur leur tête, qu’il s’attaque aux poulaillers. C’est un dur à cuire. Avec toupet il vagabonde, il exprime sa part d’ombre et sort des chemins balisés.

S’identifier au papang et défier le monde.… voilà le challenge !

Nancy : Peux-tu nous expliquer comment est née ta composition et le sens du titre ?

Papangaz est un mot valise pour dire vagabondages.

Ce vagabondage donne toute latitude pour slalomer dans mes rêves, oser le tangage où le navire chavire, le tapage des tempêtes, le théâtre de l’intime, les danses échevelées, la poésie de l’amour.

Papangaz, c’est l’aventure, l’ouverture …

l’apocalypse de la nature déchaînée , le mystère de la nuit noire avec ses peurs et ses cauchemars, la chasse, la danse rituelle des ancêtres. Tout est permis.

A partir de cette idée, je commence à créer des atmosphères, à réunir des esquisses compatibles avec ma vision.

Nancy : Quel est le rôle de ton fils Tom ?

Depuis 2 ans, je travaille avec Tom sur plusieurs projets de musique à l’image.

Pour Papangaz Tom a écrit des pièces et apporté une réflexion sur les structures rythmiques pour créer des accélérations, des transitions et maintenir un niveau d’énergie et de tension comme dans le rock.

Pour le titre « Anlèr », par exemple, nous avons enregistré des improvisations vocales, reconstitué la forme responsorielle du Maloya, et privilégié la créativité des tambours pour confirmer le caractère traditionnel.

Nancy : Comment s’est passée ta collaboration avec Patrice ?

Avec Patrice, nous avons déjà réalisé plusieurs projets ensemble.

Zooma, une ouverture Réunionnaise.

Les Mascarines, suite pour 2 orchestres d’harmonie – Quintet de jazz et Théâtre dansé.

Notre objectif est de créer un répertoire original, des partitions pour une trentaine de musiciens amateurs et professionnels, dédié à l’Orchestre d’Harmonie.

Pour Papangaz, nous avons étudié les partitions du point de vue de l’orchestration, redéfini l’équilibre orchestre-solistes pour que les artistes puissent jouer leur rôle, et prendre l’initiative.

Ces échanges, riches en réajustements, amènent un sentiment de création collective où chacun s’approprie l’œuvre.

Quand Patrice me demande d’écrire un texte d’introduction pour éclairer les spectateurs sur le sens de la prestation, Je saute sur l’occasion pour écrire les aventures du papang à la première personne. Histoire d’associer un contrepoint théâtral au concert.

Nancy – Comment as-tu vécu les répétitions ? Et ta rencontre avec Denis Leloup et François Thuillier ?

En général, j’aspire à l’échange autour de mes compositions, j’aime que les musiciens s’approprient la musique, apportent leur vision, leur ressenti. Surtout quand ce sont des musiciens qui jouent souvent avec des partenaires variés.

J’ai le sentiment que les solistes ont sublimé les compositions par leur jeu, nourri la musique de leurs réflexions. Et nous avons eu une qualité d’échange stimulante, dans la bonne humeur et la simplicité.

J’ai apprécié ce travail collaboratif où nous avons abordé toutes sortes de questionnements sur le rôle des percussions, l’homogénéité du son, la précision du phrasé.

Et le dialogue s’est passé dans la légèreté et l’humour souvent. Sans de prise de tête.

La rencontre avec Denis et François s’est passée en douceur. Et tous les musiciens étaient disponibles et enthousiastes, du coup nous avons vécu cette série de concerts comme un voyage exceptionnel dans une période chaotique. Heureux de créer un spectacle vivant avec des artistes de talent, souriants et bienveillants.

En participant aux répétitions de l’Orchestre à l’Ecole, j’ai apprécié les talents de pédagogue de François qui dirige « Joue et Danse », une composition où les jeunes prennent l’initiative. Il crée un élan de solidarité dans le groupe, leur donne confiance. Ils se lancent dans leur première improvisation, jouent et chantent avec la pêche.

Nancy : Comment tu as vécu les concerts ?

J’aborde la scène comme une aventure,

Je ne sais pas précisément où je vais, je suis à la recherche de ce qui fait vibrer le cœur des gens, l’âme des choses, je cherche l’étincelle, ce qui déclenche une émotion, met en résonance les éléments en présence.

L’aventure est passionnante, on ne sait pas où on va, mais on y va. On prend le chemin, les pieds sur terre la tête dans les étoiles, on avance en confiance avec ses partenaires, chacun donne ce qu’il a de mieux, artistes et spectateurs. On va de surprises en rencontres. le voyage est un délice.

L’histoire se déroule avec des gestes, des mimiques, des sons, des silences, des mots. Le récit progresse au milieu des regards, des sourires, de l’écoute. C’est la poésie de l’instant.

J’ai ressenti beaucoup d’excitation à jouer, à créer du suspens, à faire rire ou peur. J’ai savouré les yeux pétillants du public, leurs sourires, leurs attentes, l’énergie qu’ils nous transmettent.

C’est jubilatoire, ce sentiment de façonner la musique au fur et à mesure, dans l’instantané, avec des interactions chaque fois réinventées.

On est sur le fil, ce sont des moments de magie.

Nancy : – Patrice, comment s’est préparée cette création de Jean-Luc Trulès avec les musiciens de l’OREHA ?

Patrice : – L’OREHA a travaillé depuis août 2021 sur cette création « Papangaz », avant de rencontrer les solistes et de multiplier les répétitions en octobre. Cette rencontre pour des répétitions intensives s’est révélée d’une grande richesse pour les musiciens membres de l’OREHA : écouter François Thuillier et Denis Leloup jouer, parler musique, phrasé, rythme… Assister à cet échange entre musiciens chevronnés, chef d’orchestre ( moi en l’occurrence), compositeur ( puisque Jean Luc Trulès était présent aux répétitions et jouait des percussions) est une expérience irremplaçable. La pratique en ensemble est une nécessité pour nos instruments à vents. Apprendre à écouter, travailler le son de son propre instrument, le glisser dans l’harmonie. Entendre les solistes aussi. Les musiciens de l’OREHA ont su se rendre disponibles pour ces 10 jours qui les ont beaucoup sollicités. Mais ce sont des rencontres et des expériences tellement riches qu’elles contribuent à solidifier, à souder davantage l’orchestre, à forger solidarité, confiance, convivialité aussi. 10 ans de vie pour une harmonie, cela peut paraître bien jeune si on compare aux harmonies de la France hexagonale… Mais pour notre contexte insulaire, où les élèves musiciens quittent souvent l’île pour continuer leurs études, où les adultes amateurs vont et viennent, où les artistes aussi bougent beaucoup, 10 ans, c’est déjà une belle maturité. Nous avons pu donner 3 concerts, organisés avec une partie orchestres à l’école ou stagiaires trombones et tubas, l’OREHA avec les solistes, et un partie solistes seuls. Au Grand Salon de l’Ancien Hôtel de Ville de Saint-Denis, à la Cité des arts, et dans la salle Gramoun Lélé de Saint-Benoît. Public nombreux et chaleureux aux trois concerts.

Concert à la Cité des arts de Saint-Denis. Au 1er plan, de gauche à droite : Jean-Luc Trulès, Patrice Brisson, Denis Leloup, et François Thuillier

Nancy : – Eolia , tu fais partie des musiciens de l’OREHA depuis ses débuts. Tu te souviens comment tu as intégré l’association ?

Eolia : – J’étais jeune, j’avais 14-15 ans. Je jouais du saxophone à l’harmonie de l’école Loulou Pitou où je prenais mes cours. Patrice m’a proposé de rejoindre l’OREHA. J’avais un peu peur de ne pas avoir le niveau.. j’en avais parlé à mon prof, Gérard Luxembourger, qui m’avait encouragée à y aller. Au début je n’étais pas du tout à l’aise… mais dans le pupitre les autres sont là pour rassurer, et ça met en confiance.

Nancy : tu as l’impression que tu as progressé en jouant à l’OREHA ?

Eolia : ah oui, beaucoup. L’orchestre donne envie de progresser. Pour le plaisir de partager avec les autres. L’année que j’ai passée au Canada pour mes études a créé une coupure, et cela me manquait ! Quand on vit un concert, comme les trois que nous venons de donner, voir le public à l’écoute, applaudir, ça donne envie de donner le meilleur. Jouer avec des pros c’est encore mieux, c’est magique. Ecouter jouer Denis Leloup et François Thuillier, c’est très impressionnant… c’est comme s’ils ne font qu’un avec leur instrument, c’est leur langage naturel la musique… Ca me donne encore plus envie de progresser. Je travaille seule, mais aussi on fait des répétitions de pupitre. Juste les saxophones, entre nous. J’apprécie beaucoup ces moments. La musique fait partie de ma vie. Cette semaine a été très très intense, fatigante parce qu’il faut répéter en soirée après le travail. Mais c’est tellement enrichissant ! Je suis bien contente que l’OREHA existe, il faut que ça continue, j’en ai besoin !

Nancy : – Et toi, Gipsy, ça fait combien de temps que tu joues du tuba à l’OREHA ?

Gipsy : – Ca va faire 9 ans. Je jouais de l’euphonium. J’étais un élève de Patrice Brisson, j’ai commencé la musique au collège en 6è, à l’orchestre à l’école de La Montagne. Les élèves qui avaient une vie sociale compliquée ou peu favorisée étaient prioritaires. Guillaume Thévenot le prof de musique du collège proposait de s’évader par la musique.

Nancy : – Et ça a marché pour toi ?

Gipsy : – Ah oui ça a complètement marché. Je ne sais pas, si je n’avais pas fait la musique peut-être que j’aurais pris un autre chemin. C’était compliqué ma vie sociale, à l’école aussi.

Nancy : – Le fait d’être dans une classe orchestre tu crois que ça t’a aidé pour tes études, pour être mieux ?

Gipsy : – Oui ça m’a énormément aidé. La musique a fait de moi ce que je suis devenu aujourd’hui. Je suis quelqu’un d’ouvert d’esprit. La musique m’a permis de m’intéresser à la culture depuis le collège. La musique c’est une chance dans ma vie. C’est compliqué à expliquer, mais je ne me vois pas vivre sans musique. La musique c’est une partie de moi. Ce n’est pas juste quelque chose de facultatif. Je dois m’organiser parce que mon travail me prend beaucoup de temps. Mais je fais des efforts pour pratiquer la musique. Patrice continue à me donner des cours quand c’est possible. Je suis passé de l’euphonium au tuba.

Nancy : – Qu’est-ce que ça t’apporte de pratiquer le tuba aujourd’hui ?

Gipsy : – Du bonheur ! Quand je prends mon instrument, je ne râle pas ! J’apprécie de jouer avec les amis de l’orchestre, le partage. C’est comme ma communauté. Les concerts, ça me rend joyeux, offrir la musique aux gens ça me rend heureux. Je n’ai pas le trac parce que je me sens avec les autres musiciens de l’orchestre. Je suis concentré. Jouer à l’OREHA ça fait partie de mon quotidien. Il ne faut pas que ça s’arrête. François Thuillier c’est le modèle absolu. Il m’a donné des conseils, j’étais encore adolescent, c’est une chance incroyable.

Nancy : Gipsy est l’exemple même de ces enfants à qui on propose d’intégrer un orchestre à l’école, et pour qui cela fait une différence. Sans cela, il ne serait sans doute jamais venu à la musique. C’est la musique qui est venue à lui, et qui a accompagné son épanouissement, sa réussite individuelle. Semer les vocations, faire entrer dans le monde musical, c’est ce que tu as fait Patrice durant toute sa carrière n’est-ce pas ?

Patrice : – Quand le conservatoire s’est créé à la Réunion, il y avait tout à faire. Il fallait « monter sa classe ». J’allais dans les classes des écoles, souvent avec mon fils ou un élève, pour présenter l’instrument, donner l’envie. Ca marche d’autant mieux qu’à La Réunion, on ressent moins peser la hiérarchie entre les instruments. Lorsque les orchestres à l’école ont été créés, ( le premier était au collège de La Montagne, dans les Hauts de St Denis où était Gipsy), j’ai volontairement participé. Le dispositif a été lancé par Josée Guidat : elle a fait un gros travail qui n’a plus à démontrer son efficacité aujourd’hui à la Réunion. Les demandes des écoles et des collèges affluent auprès de la FMR-CMF que je préside, à la suite de Josée.

Et tout fait sens pour des pratiques de qualité, dans le temps, pour ce langage artistique majeur qu’est la musique, qui contribue à l’épanouissement : les orchestres à l’école, les cours de musique en écoles municipales ou au conservatoire, notre harmonie associative. Il faut souligner l’investissement humain, souvent bénévole, et les convictions fortes qui nous rassemblent : professeurs de musique en collège, professeurs d’instruments en écoles de musique et au conservatoire. Nous sommes 3 professeurs de trombone : Arnaud Denjean au conservatoire, German Tovar à l’école intercommunale de Beauséjour, moi à l’école municipale Loulou Pitou à Saint-Denis. Nous travaillons toujours ensemble, nous croisons nos auditions de classe, nous faisons les projets ensemble. Faire venir un artiste à La Réunion, ça coûte cher parce que nous sommes éloignés. Cela nous encourage à mutualiser. Pour les 10 ans de l’OREHA, nous voulions que tous les trombones et tubas puissent se rencontrer, et rencontrer Denis Leloup et François Thuillier.Insérer votre contenu Ici

L’équipe de la master class : de gauche à droite : Arnaud Denjean, Patrice Brisson, Denis Leloup, German Tovar, François Thuillier

Le projet global a été soutenu financièrement par La mairie de St-Denis, le conservatoire à Rayonnement Régional, L’association Nationale des Orchestres à l’école, la FMR-CMF.

J’ai d’abord demandé, plus d’un an à l’avance, à François Thuillier : je voulais qu’il soit présent pour les 10 ans de l’OREHA. François Thuillier, en plus d’être un musicien hors du commun, sait tout faire : c’est un pédagogue qui n’a pas son pareil pour donner confiance aux élèves individuellement, et pour réussir à les faire jouer ensemble. Il est le parrain de l’orchestre à l’école du Collège Reydellet qui a vu le jour en 2013. Un honneur, une chance pour nous qui n’avons pas encore à La Réunion de classe de Tuba. Pas de professeur spécialiste du tuba sur notre île. Il a tout de suite accepté, et réservé ses dates.

Il a composé deux pièces pour les 3 orchestres à l’école qui ont participé aux 10 ans de l’OREHA.

Ensuite, avoir l’accord de Denis Leloup pour le trombone, c’était aussi une chance inespérée. Lui aussi a composé pour l’occasion.

Ainsi, élèves des écoles ou du conservatoire, collégiens des orchestres à l’école, musiciens de l’OREHA : tous ont vécu cette expérience de travailler avec François Thuillier et Denis Leloup, de jouer avec eux, de donner des concerts avec eux.

En plein travail avec François Thuillier

Tous les stagiaires

Nancy : – Denis Leloup, votre participation aux 10 ans de l’OREHA nous honore… Vous pouvez nous parler un peu de votre parcours ?

Denis Leloup : – J’ai commencé la musique à 7 ans, le trombone à 13 ans. Je suis entré au conservatoire de Paris à 16 ans. Ma vie professionnelle a commencé à 19 ans après le service militaire. J’ai eu un professeur de trombone qui était jeune, je lui dois beaucoup, c’était Jérôme Naulais. Il compose beaucoup, mais ce n’est pas lui qui m’a donné la fibre de la composition. C’est au conservatoire de Paris, j’avais un prof d’analyse musicale qui s’appelait Alain Bargoni, qui m’a vraiment ouvert les oreilles sur la composition. C’est une des personnes les plus importantes de mon parcours musical.

Nancy : – Et le jazz il arrive à quel moment ?

Denis Leloup : – Avec Jérôme Naulais. Quand il ne pouvait pas donner son cours le lundi, il le remplaçait le dimanche : j’allais chez lui, et il me faisait écouter de la musique, et j’ai entendu un tromboniste de jazz. C’était curieux, je trouvais ça génial, mais ça ne correspondait pas aux critères de l’instrument que je jouais. J’avais l’impression que ce n’était pas le même instrument, c’est un autre langage en fait. C’est ça qui m’a plu. C’était plus virtuose, plus physique, moins maîtrisé…

Nancy : – Vous aimez travailler les différentes façons d’utiliser votre instrument ?

Denis Leloup : – Le jazz c’est un langage, il y a des références, je les ai apprises, ensuite on essaie d’avoir un langage qui est propre : on essaie de se forger une personnalité propre, plutôt que de se fondre dans un son, comme dans la musique classique.

Nancy : Qu’est-ce qui aujourd’hui vous procure le plus de plaisir ? Vers quoi va votre préférence ?

Denis Leloup : – Composer. Dans ma tête, avec un piano. Ca part d’une idée. Composer, c’est le plus jubilatoire. Entendre jouer son oeuvre. J’écris mes projets, parfois j’ai des commandes.

Je me mets au service de l’idée que je veux défendre. En ce moment je suis sur un projet sur Jean Sébastien Bach, avec François Thuillier et un accordéoniste, David Venitucci. Cela me tient à cœur. Le fait que je joue du trombone, c’est accessoire. C’est mon moyen d’expression musicale, parce que je ne sais pas jouer autre chose suffisamment…

Nancy : – on a quand même l’impression que l’instrument est le prolongement de votre corps…

Denis Leloup : – ça c’est le rêve absolu. Pas si simple. Je compare souvent ça à un cycliste qui court contre la montre, qui doit faire corps avec sa machine pour être efficace. Mais ça exige du travail, des calculs, de la maîtrise. Ce n’est pas si naturel que ça en a l’air. Ca peut être parfois même de la souffrance. C’est un corps étranger, extérieur. Il faut faire accepter à son propre corps, un corps étranger qui est l’instrument. Ce corps étranger doit être le prolongement de ce qu’on est. Le trombone c’est un porte-voix, qui amplifie ce que j’ai dans mon cerveau. Mais il y a des restrictions. Le trombone a ses spécificités et ses restrictions physiques.

Nancy : – Ce séjour à La Réunion alors ?

Denis Leloup : – Je connais déjà le département j’y suis venu à plusieurs reprises déjà. J’ai découvert le département cuivres, et je trouve que c’est super ! Les orchestres à l’école, le travail qui est fait c’est super. J’en ai vu un peu en France Métropolitaine, mais il me semble que c’est différent. Ici il y a un engouement réel, une discipline. Il me semble qu’ici c’est vraiment de la musique, les élèves ont vraiment l’envie de faire de la musique.

Nancy : Le bilan de ce séjour ?

Denis Leloup : c’est fatigant ! Déjà la musique c’est fatigant quand on est entre professionnels. Mais là c’est encore plus fatigant. On a oublié que c’est compliqué, toutes les notions, pour les musiciens amateurs… Il faut qu’on accepte de prendre plus de temps… mais la récompense c’est l’humain. Des rencontres humaines. Je recherche le partage, le contact humain..

Nancy : oui, la rencontre, nous on l’a bien appréciée, parce que vous êtes nos invités de « prestige », mais pour autant vous êtes tous deux très accessibles, très disponibles.

Denis Leloup : – Oui c’est un échange réciproque. On sait pourquoi on est là. On peut être surpris aussi : je trouve que le rapport travail-efficacité, monter un concert comme ça, en si peu de temps, c’est pas mal ! Il y a quelque chose ici qui est sensible, qui n’existe pas en métropole. La culture, la discipline, la présentation, la mixité, les relations filles garçons… Le rapport à la musique est comme plus tranquille. J’ai l’impression.

Nancy : – Et l’OREHA ?

Denis Leloup : – C’est un petit effectif, ça fait un peu plus musique de chambre, cela donne une singularité. J’ai trouvé bien, ce côté créatif. C’est pas l’harmonie traditionnelle qui joue « la pie voleuse » . En France c’est un milieu très traditionnel les harmonies, avec les concours, les uniformes, les remises de médailles etc… »

Après le concert donné à la Cité des arts, en extérieur avant de rentrer, Raphaël, 11 ans, au trombone, et Olivier, 12 ans, à l’euphonium, appellent les deux artistes, François Thuillier et Denis Leloup : ils ont préparé un petit duo, une petite composition à eux. Impressionnant ! Emouvant ! Il faut essayer de faire comme les modèles !

Nancy : – Raphaël, tu es en 6è, tu prends des cours de trombone avec Patrice, qu’est-ce qui t’a le plus intéressé au cours de ce projet ?

Raphaël : – D’abord de pouvoir jouer avec les musiciens. Ils nous ont encouragés, Olivier et moi, à ne pas nous arrêter de jouer. On a pu leur montrer notre invention avec Olivier. Ca m’a encore plus motivé. Ils nous ont dit « il y a de la concurrence » (il rit). Lors du stage, j’ai découvert le souffle continu, le son en caillou, mettre la voix et le son dans l’instrument, un double son… Moi j’aime bien inventer de la musique, improviser. Je me sens libre. Ca me fait un peu le trac quand je me dis oh la la je vais jouer tout seul, mais quand je suis dedans je ne ressens plus rien. Je fais la respiration lente pour me calmer. Le trombone je le travaille tous les jours : chauffes, pose de son, souplesses, gammes, après je fais les morceaux.

Je me sens dans mon élément quand je joue. J’aime la musique plus que les maths et le français ! J’envisage d’en faire mon métier. Il faudra que je travaille beaucoup j’en suis conscient. J’ai encore plus envie de pouvoir faire un jour comme Denis Leloup ou François Thuillier.

Nancy : qu’est-ce que ça t’apporte la musique ?

Raphaël : – je crois que ça m’a appris à écouter. Avant j’étais beaucoup « dans ma bulle ». La musique ça m’ouvre aux autres. On est obligés d’écouter quand on joue ensemble.

Olivier, collège Reydellet, en 5è, à l’euphonium : « j’adore la classe orchestre. Je prends en plus les cours à l’école Loulou Pitou. Je m’invente des chansons, je fais des mélodies de moi-même. C’est super d’avoir rencontré François Thuillier et Denis Leloup. J’ai pu avoir une photographie, une dédicace. J’ai tout aimé dans ce projet. François Thuillier c’est notre parrain c’est de la chance pour nous. Il est venu exprès pour nous. J’étais un peu stressé au début du concert, ensuite ça allait. La musique ça apprend à être attentif, à penser bien à ce qu’on fait. Donc ça m’apprend à mieux réfléchir. Ca permet de s’exprimer. Moi je rêve d’être un grand cuisinier. Mais comme passe-temps je ferai de la musique. »

Shaana, qui prend des cours de trombone aussi à l’école Loulou Pitou, a fait le stage et les concerts.

Elle me confie aussi : « j’ai beaucoup appris avec Denis Leloup. Ca m’a donné envie de mieux progresser. Y a des explications différentes, c’est bien. J’ai rencontré d’autres camarades. J’ai bien aimé jouer tous ensemble. Mes parents sont fiers de moi. Moi aussi je suis fière, j’étais bien concentrée.

J’aime bien la musique. J’aimerais bien être musicienne et chanteuse, faire les deux. Mes parents m’encouragent, mais me disent attention, il peut y avoir des hauts et des bas. »

Les Orchestres à l’Ecole, sous la direction de François Thuillier

Parmi les orchestres à l’école, la parole des collégiens est tout aussi enthousiaste :

Kaeline, en 5è au collège La Montagne, joue de la flûte. « Quand j’ai entendu les élèves jouer dans mon école, j’ai voulu faire partie de la classe orchestre. Personne dans ma famille ne fait de musique. La flûte c’est comme si je parlais mais en jouant. Je travaille plus la flûte depuis qu’on a ce projet. C’est trop bien de rencontrer les autres élèves des autres collèges de Mille Roches et de Reydellet. On a fait connaissance, et jouer ensemble, c’est bien. Je me suis fait des amis. Ma mère a pleuré au concert à la Mairie. Parce qu’elle est fière. François Thuillier et Denis Leloup ils sont extraordinaires. Ca donne tellement envie ! Ca nous fait connaître de vrais artistes. Je veux jouer de la flûte jusqu’à la fin de ma vie ! La classe orchestre c’est un cours que j’adore, ça me donne plus envie d’aller au collège, ça m’aide à certains moments. Mais parfois quand je n’arrive pas j’ai moins confiance. »

Andrea, en 5è au collège de La Montagne, joue du saxophone : « j’ai l’impression que j’apprends mieux les leçons depuis que j’apprends les notes et la musique. Je m’habitue à apprendre. Il y a des artistes qui ne font que de la musique dans leur vie. C’est bien. »

Emeline, collège Reydellet, en 5è, joue de la trompette. « La classe orchestre j’aime bien parce qu’on a le même centre d’intérêt, et on fait plus de sorties que les autres classes ! J’aime bien me produire en concert. La musique ça libère mes émotions. Quand je travaille la trompette ça m’agace quand je ne réussis pas une note, que je dois répéter, répéter. Après ça vient, c’est super. Moi j’essaie de jouer les sons que j’aime bien sur ma trompette. »

Alicia, collège Reydellet, en 5è, joue du cornet : « ça m’aide à décompresser des autres cours la classe orchestre. En plus j’ai découvert la flute, la clarinette avec les autres orchestres, nous on ne joue que les cuivres. On a rencontré deux artistes connus, qui jouent trop bien. J’étais impressionnée. J’ai bien aimé écouter l’orchestre OREHA, ils jouent bien.»

Eléna, du collège Mille Roches, joue de la trompette : « le premier jour je ne me sentais pas trop accueillie, le 2è jour c’était bien, le 3è jour c’était super, j’aurais voulu continuer. François Thuillier est tellement positif qu’on veut bien faire, ça encourage. Je me suis fait plein d’amis le 3è jour. J’aime faire de la trompette. »

Jade-Marie, collège Mille Roches, joue de la clarinette : « c’était stressant, mais ça s’est bien passé, j’étais contente. François Thuilllier il est gentil et il nous a bien aidés. On s’est amusés.

Je me suis rendu compte que je suis moins timide, et de meilleure humeur depuis que je fais de la musique. J’aime beaucoup mon instrument, je joue tous les jours. »

Vincent, collège mille Roches, joue du trombone : « pendant ces trois jours, j’ai fréquenté les autres élèves des autres collèges et ça s’est bien passé. J’ai bien aimé les concerts. Les artistes ils sont très forts. François Thuillier il est toujours positif, même si on faisait un truc pas bien il disait c’est bien, mais si tu veux tu peux faire aussi comme ça.. alors ça donne envie de bien faire. La musique qu’il a composée c’est trop bien. J’aimerais bien apprendre la musique encore plus et jouer dans un orchestre. Dans l’orchestre OREHA la batterie c’était impressionnant. J’ai bien aimé aussi ce que racontait le compositeur sur la musique. »

Finalement, le bilan de cet événement : Une création spécifique, deux artistes de renom, des rencontres entre musiciens de l’OREHA, élèves des écoles de musique et du conservatoire, orchestres à l’école de 3 collèges avec des compositions originales : beaucoup de préparatifs d’organisation, de recherche de financements, de coordination en amont. Moments intenses lors de la venue des artistes. Expériences enrichissantes pour tous : Des moments précieux. On en ressort plus humain, plus musicien. A semer la rencontre, on sème aussi la passion, et on récolte la musique, la vraie, la vivante.