Par Carl Plessis, Responsable documentation à la CMF

Si la musique enregistrée a su gagner pleinement sa place dans les médiathèques, la musique imprimée y est encore rare et les bibliothèques spécialisées relativement peu connues. Pourtant, les partothèques sont présentes sur tout le territoire français, et se distinguent selon la musicologue Dominique Hausfater, en cinq grandes catégories :

  • Les bibliothèques de recherche,
  • Les centres de documentation spécialisés dans la musique d’une époque définie, comme le Centre de Documentation de la Musique contemporaine, ou le Centre de Musique baroque de Versailles, ou autour d’un genre défini : la musique traditionnelle d’une région.
  • Les bibliothèques de pratique musicale (dont font partie les bibliothèques d’orchestre, de maisons d’Opéra ou de chœur professionnels, ou la bibliothèque de Radio France)
  • Les bibliothèques publiques,
  • Les bibliothèques d’établissements d’enseignement (universités, écoles de musique et conservatoires)

Cette dernière catégorie a particulièrement retenu l’attention de la Confédération Musicale de France, qui a entrepris en 2017 une vaste enquête téléphonique sur trois ans auprès des conservatoires classés afin de tous les répertorier. Les questions portaient sur les points suivants :

  • Le nombre d’élèves,
  • Le nombre de professeurs,
  • Le nombre de partitions,
  • Leur lieu de stockage,
  • Le public qui y a accès,
  • La constitution ou non d’un catalogue,
  • La présence de personnel dédié,

Auxquels ont été ajoutés dès la deuxième année :

  • Présence d’un fonds patrimonial
  • Présence d’un logiciel de gestion de base élèves

L’enquête a au final permis d’identifier 96 partothèques disposant :

  • D’un local dédié
  • De personnel (y compris à temps partiel)
  • D’un catalogue (même sous tableur)
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On constate que près de 75% des conservatoires (tous statuts confondus) disposent de plus de 500 partitions, traduisant une volonté certaine de la part des établissements d’être équipés d’une bibliothèque, malgré un manque de moyens souvent répété lors des entretiens, en particulier concernant le personnel. La gestion de la bibliothèque est souvent dévolue aux secrétaires, régisseurs ou directeurs d’établissement, rarement formés à la bibliothéconomie, en particulier dans les petits établissements.

Comparativement aux franciliens, les conservatoires provinciaux sont souvent mieux pourvus : fonds plus importants, catalogues plus fréquents et salles dédiées plus habituelles. La région parisienne concentrant plusieurs bibliothèques spécialisées sur un petit territoire, comme la Médiathèque Musicale de Paris, celle de la Philharmonie de Paris ou bien la Médiathèque Musicale Mahler, on peut supposer qu’elles diminuent l’intérêt de constituer une bibliothèque dans les conservatoires. Toutefois, avoir un fonds de partitions, peu importe sa taille, ne signifie pas avoir une bibliothèque en tant que telle. Même si les chiffres sont moins prononcés qu’en Ile de France, certains établissements sont contraints de répartir leurs partitions dans plusieurs salles de cours.

On peut observer assez logiquement une corrélation entre la taille de l’établissement, le nombre de partitions et l’ouverture du prêt de documents au public : plus un conservatoire est grand, plus il dispose de partitions qu’il aura tendance à mettra à disposition du public, pas forcément élève du conservatoire.

Toutefois, le prêt au grand public reste minoritaire. Au final, seules 31 bibliothèques, dont 15 de CRR, lui sont ouvertes, avec des documents en consultation libre. Plus de la moitié des bibliothèques restreignent le prêt de partitions aux professeurs (le plus souvent à cause du manque de gestion du fonds) qui décident ensuite de les partager ou non avec leurs élèves. Le prêt concerne des collections plus ou moins récentes, les budgets d’acquisitions de partitions servant souvent de variables d’ajustement. La question du prêt est également fortement liée à la présence d’un Système Intégré de Gestion des Bibliothèques (SIGB). Ces logiciels servent aux bibliothèques non seulement à gérer leurs catalogues en y décrivant les documents mais également à s’occuper du prêt aux usagers. Sur 193 conservatoires équipés d’un catalogue, plus de la moitié utilisent la partie gestion des partitions de leur logiciel de gestion de base élève, et un peu moins d’un tiers sont équipés d’un SIGB de bibliothèque, souvent fourni par la bibliothèque municipale dans le cadre d’un partenariat, parfois associé à une ouverture de la partothèque au grand public.

 

Avec un taux de réponse de près de 80 % auprès des conservatoires, cette enquête a permis d’identifier 96 « véritables » bibliothèques de conservatoire, c’est-à-dire équipées d’une pièce dédiée, avec du personnel dédié et un catalogue, soit le quart des conservatoires. Celles-ci deviennent relativement habituelles à partir de 1000 élèves, ce qui correspond le plus souvent aux CRD et aux CRR.

L’accès aux bibliothèques de partitions n’est donc toujours pas une évidence, même si certaines régions sont nettement mieux dotées que d’autres : en Pays de la Loire notamment, avec plus de la moitié de ses conservatoires classés disposant d’une « véritable bibliothèque », contre 14% seulement pour les Hauts de France ou même aucune pour l’Outre-mer et la Corse.

La partition et le numérique

L’essor du numérique suscite également des interrogations pour les partothèques et leurs bibliothécaires : les modes de découverte et d’acquisition des partitions ont-ils suffisamment changé pour remettre en cause la bibliothèque traditionnelle ? Une deuxième enquête électronique a donc été lancée en 2019 à destination des professeurs et du personnel admi¬nistratif de l’ensemble des EEA afin d’identifier un peu plus précisément leurs habitudes et besoins. Au final, plus de 330 personnes y ont répondu, dans des proportions représentatives des différents statuts des EEA.

À l’heure actuelle, la partition numérique est loin d’être une évidence : les offres sont encore limitées, pas toujours légales, et cela nécessite non seulement l’acquisition de tablettes grand format aux prix élevés -et fragiles de surcroît- mais également, pour être vraiment fonc¬tionnelles, de bénéficier d’une bonne connexion Inter¬net, dont sont encore privés nombre de conservatoires.

Trois personnes sur quatre déclarent ainsi préférer la ver¬sion papier, mais ils sont tout autant à quand même utiliser des offres numériques pour découvrir des partitions. Cependant, de nouveaux services comme Nkoda, sorte de Netflix de la partition, ne parviennent pas pour autant à pénétrer au sein du marché français. La demande semble principalement se diriger vers des partitions majoritairement gratuites et/ou libres de droit, permettant aux utilisateurs d’imprimer eux-mêmes ce dont ils ont besoin, usage qui se situe aux antipodes du modèle traditionnel de l’édition de partitions.

Toutefois, ces offres numériques ne semblent pas non plus répondre à tous les besoins de partitions : la musique d’ensemble est particulièrement recherchée, peut-être en raison d’une augmentation de la pratique collective en EEA. Or, celle-ci est relativement rare parmi les offres numériques gratuites, et souvent compliquée à chercher : rares sont en effet les catalogues permettant d’identi¬fier des partitions en fonction de formations aux effec¬tifs et aux instruments très variables.

Les bibliothèques de conservatoire ont certainement un rôle à jouer dans la constitution de catalogues plus efficaces et intuitifs. En 2017, Annelise Benoit regrettait dans son mémoire le manque d’interopérabilité entre les sections partitions des bibliothèques de lecture publique et les partothèques de conservatoire : l’enquête de cette année vient nuancer ses propos, puisque près de la moitié des conservatoires disposant d’une « véritable » bibliothèque partagent le catalogue de la médiathèque de leur ville.

Paradoxe s’il en est, alors que nous n’avons jamais autant écouté et pratiqué la musique, les sections musicales des bibliothèques publiques se vident, et les bibliothèques de conservatoire, déjà rares, servent trop souvent de variable d’ajustement à des budgets de plus en plus serrés.

Pourtant, il y a un réel besoin, pour l’amateur comme pour le professionnel, d’accéder à de la musique imprimée et enregistrée qui soit documentée, archivée et animée, particulièrement à l’heure où les disquaires ont pratiquement tous disparus, et où les libraires musicaux craignent de suivre leur chemin. La solution repose peut-être sur une mutualisation du travail et sur la mise en place d’un catalogue commun, conçu autour des spécificités de la partition, pour toutes les partothèques d’EEA, voire d’un prêt entre établissements.