Propos recueillis par Caroline Rainette

15 décembre 2021

Lauréat du Concours National de Composition de Chassieu (1985), du Dauphiné (1988), des Concours Internationaux de Composition du Havre (1990), de Corciano (Italie, 2007) et du Tournoi International de Musique 2008 , il a aussi été, à trois reprises, demi-finaliste, et une fois finaliste, du Concours International de Composition “Coups de vents”. Auteur de près de 180 œuvres, Jean-Pierre Pommier a composé pour tous types de formations mais a développé une prédilection certaine pour l’orchestre d’harmonie. À la retraite depuis septembre 2018, il partage ses activités entre la composition, la peinture et les voyages.

Racontez-nous votre parcours

J’ai commencé la musique tardivement, à 15 ans. Mon père était armurier à Rambouillet, mais aussi clarinettiste amateur. Il avait fait le conservatoire de Reims et jouait dans l’harmonie de Rambouillet. Je n’étais pas du tout intéressé par la musique, mais j’étais quand même fasciné par le montage de la clarinette. Mon père avait acheté un piano pour tenter de me faire changer d’avis, or, moi qui suis devenu compositeur, je lui avais pourtant répondu que je n’aimais pas la musique et que je n’aimerais jamais ça !

Quand j’ai eu 14-15 ans, il s’est mis à donner quelques cours à des enfants pour qu’ils intègrent les rangs de l’harmonie. Je ne sais si cela a provoqué chez moi de la curiosité ou de la jalousie, mais en son absence je suis allé chercher la clarinette, je l’ai montée, j’ai soufflé dedans, et un son en est sorti. Je lui ai alors demandé de m’apprendre à jouer de cet instrument. La question que je me pose, et qui restera toujours sans réponse, est : que se serait-il passé si aucun son n’était sorti ce jour-là, lui aurais-je demandé de m’apprendre à jouer ?

Quoiqu’il en soit, j’ai donc commencé la clarinette. Mon père avait pris quelques cours avec Marcel Defrance, clarinettiste à la Garde Républicaine. Il m’a alors amené chez ce dernier, qui a été mon premier professeur.

À 18 ans, alors que je ne faisais de la musique que depuis trois ans, j’ai décidé de devenir musicien professionnel. J’aimais la clarinette, mais je n’étais pas très doué, et, il faut le reconnaître, aussi un peu paresseux. Mon père n’était donc pas très favorable à cette décision, mais voyant que j’y tenais, il a passé un accord avec moi : je travaillerai avec lui à l’armurerie, sur de petites tâches (chauffeur, vendeur, livreur), et j’irai au conservatoire de Versailles les lundis. J’avais 20 ans et un malheureux CAP de dessinateur en construction mécanique générale…

J’ai cependant fini par réaliser que je n’arriverais pas à faire carrière en tant que clarinettiste, car j’étais complètement paralysé par le trac lors des examens. Je me suis alors intéressé aux études d’écriture, toujours au conservatoire de Versailles : harmonie, contrepoint, fugue avec Solange Ancona. J’ai également suivi des cours particuliers de solfège et d’harmonie avec Suzanne Sohet-Boulnois. J’ai finalement eu une médaille d’or en contrepoint, et d’autres récompenses qui m’ont donné confiance. Le rôle positif de ces deux femmes n’est pas négligeable dans mon parcours.

A 18 ans, alors que je ne faisais de la musique que depuis trois ans, j’ai décidé de devenir musicien professionnel.

J’ai ensuite rejoint le conservatoire d’Issy-les-Moulineaux, pendant deux ans, pour suivre la classe d’analyse de Philippe Dulat. C’est là que, voulant faire un peu de direction d’orchestre, j’ai rencontré Désiré Dondeyne.

Parallèlement je donnais des cours de clarinette, des cours de solfège dans des associations. Quelques années plus tard, j’ai également fait des études d’orgue – une véritable passion – pendant une dizaine d’années. J’ai eu pour professeurs Michel Boulnois (mari de Suzanne Sohet-Boulnois) et Naji Hakim à la Schola Cantorum.

À l’issue de cette période, je suis véritablement entré dans la vie professionnelle, en réussissant le concours pour le poste de directeur de conservatoire à Vierzon. Mais ne connaissant pas les rouages et les codes de la fonction publique, je me suis fait licencier au bout d’un an et demi.

Je suis alors retourné voir Désiré Dondeyne, figure emblématique dans le monde des orchestres d’harmonie. Il soutenait les gens sérieux, et je lui suis totalement redevable de m’avoir redonné confiance et sorti de cette période difficile de chômage où le doute commençait à m’envahir. Avec lui j’ai travaillé l’orchestration, la fugue, et un peu la direction d’orchestre. Grâce à son intermédiaire, j’ai obtenu un poste de professeur de clarinette au conservatoire de Compiègne. Le directeur partant, j’ai postulé pour le remplacer, sans succès, et on m’a confié l’harmonie – alors que j’avais très peu de notions de direction d’orchestre. Mon emploi du temps se partageait donc entre les cours de clarinette et la direction de l’harmonie. Parallèlement j’ai été recruté, à mi-temps, comme directeur du conservatoire de Maisons-Laffitte. Je cumulais donc les deux postes.

En 1990, la ville de Vichy, m’a recruté comme sous-directeur du conservatoire et 3ème clarinette à l’harmonie, ces deux structures étant placées à l’époque sous la direction de Philippe Dulat. Un an plus tard sa candidature était retenue à la Villa Vélasquez comme compositeur. Il m’a été demandé d’assurer l’intérim mais, n’ayant pas le CA de directeur, la ville devait recruter un directeur certifié pour remplacer Philippe Dulat. Le nouveau directeur m’a alors demandé d’abandonner mes fonctions de sous-directeur, pour enseigner la formation musicale, alors que je n’avais aucune compétence en la matière. J’ai refusé, tout net. Il a par conséquent, et en représailles, fait rompre mon contrat avec l’harmonie de Vichy et m’a fait diriger cette formation en étant sur l’emploi de sous-directeur du conservatoire..

Tout ces désagréments m’ont motivé pour passer le CA de directeur. J’ai suivi la formation du CRR de Lyon, et j’ai réussi l’épreuve d’admissibilité en dominante composition. C’était un véritable bonheur d’être reconnu par le jury en tant que compositeur, puis évidemment obtenir le diplôme à l’issue des nombreuses épreuves d’admission.

Diplôme en poche, j’ai d’abord été recruté à Béziers, mais je me suis rendu compte que l’école n’allait pas devenir nationale avant un bon moment. Ce n’était donc pas encore le bon poste… J’ai ensuite été recruté à La Rochelle, où je suis restée 19 ans. A trois ans de la retraite j’ai décidé de partir à Toulon, pour gérer un très gros conservatoire. J’y suis resté finalement 5 ans.

Depuis quand composez-vous et quelle est votre méthode ?

Dès mes études d’harmonies, j’ai commencé à composer, plutôt à organiser des notes, des sons, dans lesquels j’étais heureux et dans lesquels je me retrouvais. Je n’ai cependant jamais pris de cours de composition. Je suis complètement autodidacte dans cette matière, mais l’écriture, l’écoute, la lecture des partitions, l’orchestration, m’ont structuré et m’ont aidé dans la construction des œuvres musicales.

J’ai un langage qui n’est pas très contemporain, dans le sens où je n’utilise pas ou peu les modes de jeu actuels. Mon écriture reste traditionnelle, à mon sens, même si mon langage harmonique peut être plus hardi que la musique purement dite classique.

Je ne compose pas à la table, je me mets au piano et les idées viennent, grâce aux sons que je produis, que j’organise. Pour l’anecdote, c’est ainsi que j’ai trouvé le début de la pièce qui est arrivée en demi-finale au 6ème concours international Coups de Vents : j’étais chez mon frère, qui fait du jazz, et sur son piano j’ai créé une petite cellule, que j’ai reprise en rentrant chez moi afin de la développer. J’ai des idées un peu partout, je les note, et parfois c’est la petite graine de ce qui va devenir une œuvre !

J’utilise aussi l’ordinateur, qui me permet d’entendre les oppositions de timbres pour faire des plans sonores. Il m’amène aussi à faire des progrès. Avant, je n’écrivais pas la partition tant que je n’avais pas trouvé tous les agencements au clavier. Aujourd’hui, avec l’expérience, je peux composer directement à l’ordinateur. Connaissant la mécanique de la composition, sachant comment développer une idée, je peux y penser n’importe quand, et l’ordinateur joue en temps réel, à la vitesse réelle, à la rythmique que j’ai imaginée, ce que mes mains ne peuvent pas faire.

Quoi qu’il en soit, l’inspiration demeure un mystère pour moi. Il m’arrive d’être surpris en réécoutant des enregistrements de mes œuvres. Je ne sais pas d’où vient cette inspiration, ni pourquoi ce besoin…

L’expérience humaine au sein de l’orchestre est très forte.

Comment avez-vous travaillé sur le projet d’enregistrements collectifs CMF Média

Je suis très honoré que la commission harmonie m’ait retenu pour écrire une œuvre pour les enregistrements collectifs de CMF Média. Il y avait évidemment quelques contraintes : la durée, la nomenclature des instruments, le niveau – qui ne pouvait pas être trop élevé pour que la pièce reste accessible au plus grand nombre. J’ai donc composé spécialement pour la CMF, à partir de toutes ces indications. J’ai eu trois idées : une œuvre de style néo-baroque, des variations sur Alouette, gentille alouette, et une œuvre plus moderne. C’est la première qui a été choisie. J’espère que les musiciens, s’ils ne me connaissent pas, découvriront une œuvre qu’ils auront plaisir à jouer. Car je n’existe en tant que compositeur que lorsque les musiciens jouent ma musique, et surtout y prennent plaisir.

En revanche, le fait que l’œuvre soit enregistrée par un orchestre virtuel, par des musiciens chacun chez eux, n’a eu aucun impact sur la composition. Pendant le confinement, nous avons en effet entendu beaucoup d’orchestres virtuels, et le résultat sonore était tout à fait probant. Je n’ai donc pas du tout pris cet aspect en compte. Au contraire, l’appel étant diffusé au plus grand nombre, cela permet d’envisager un orchestre quasi complet ! J’ai donc mis tous les instruments habituels, sauf le cor anglais.

Le projet d’enregistrements collectifs de CMF Média permet de réunir des gens, certes de manière virtuelle, mais l’auditeur entendra un ensemble complet. Évidemment la qualité sonore sera celle du numérique, or le son enregistré ne remplacera jamais le son réel, direct de l’orchestre. Par expérience, on sait qu’il y a souvent un décalage entre l’imaginaire du compositeur et la réalité, car les vrais créateurs sont les musiciens et le chef d’orchestre. La musique est un évènement physique, vibratoire. C’est donc intéressant de voir ce que donnera un enregistrement avec un orchestre virtuel.

Cependant, le lien créé à travers le projet est, par définition, virtuel. Or rien ne pourra remplacer le contact humain direct. La communication non verbale est aussi importante que la communication verbale, voire plus. Les orchestres virtuels sont dans l’air du temps. Mais le numérique ne doit pas devenir le seul mode de communication.

Quel est votre regard sur la pratique amateur ?

J’ai toujours été un fervent défenseur de la pratique en amateur. La CMF a évolué positivement depuis des dizaines d’années, en modifiant les modalités des concours, en instaurant le DADSM, etc. À La Rochelle et à Toulon, j’ai demandé à ce que la pratique collective pratiquée à l’extérieur du conservatoire soit prise en compte dans l’organisation des études. En réalité, les conservatoires enseignent essentiellement aux amateurs, nous sommes simplement là pour permettre à quelques élèves de devenir professionnels. Aussi les liens avec les sociétés musicales sont-ils primordiaux.

J’ai toujours été un fervent défenseur de la pratique en amateur.

De même concernant les examens, rien n’oblige à faire peser une énorme pression sur des élèves en apprentissage en les faisant passer devant un jury censeur qui décidera de leur avenir artistique. Le stress généré par les examens sera important pour le futur musicien professionnel, mais pas pour les autres. En tant que directeur, j’ai donc fini par opter pour une autre formule, même si beaucoup de professeurs restent attachés aux examens. Ce qui est important, c’est de voir si l’élève se développe harmonieusement, s’il répond aux attentes des différents professeurs, qui le connaissent et qui sont les mieux placés pour dire s’il pourra suivre dans le cycle supérieur ou non. Le conseil de classe peut se prononcer sans avoir nécessairement recours à un regard extérieur – notamment pour le premier cycle – surtout dans les gros conservatoires où il y a plusieurs professeurs par discipline.

Ce qui n’enlève pas d’ailleurs l’expérience du stress que l’élève devra gérer lors d’un concert, où ses parents, ses copains, etc. seront présents dans la salle. Mais ce stress est lié à la fonction artistique, il est positif. C’est une excitation, une petite angoisse, qui permet aussi de rester humble, de relativiser.

Au milieu de mes études musicales, j’ai voulu arrêter la musique, car j’avais de gros doutes sur ce qu’on appelle l’oreille, mon oreille. Mais mes deux professeures citées plus haut (Solange Ancona et Suzanne Sohet-Boulnois) ainsi que Désiré Dondeyne, m’ont incité à continuer. Plus tard cette expérience m’a amené à encourager et soutenir des élèves. Les chemins ne sont pas toujours tout droits, il faut garder confiance, et évidemment faire aussi les bonnes rencontres avec des gens qui vous poussent et vous donnent confiance par un geste, une parole, une attitude…

Découvrez sur la vidéo ci-dessous une interview (3’34) de Jean-Pierre Pommier et trois de ses Bagatelles, enregistrées par la Musique des Gardiens de la Paix

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Les partitions d’orchestre et le matériel des Variations sur “Alouette, gentille alouette” et Sequenz 4-30, sont disponibles gratuitement chez l’auteur. N’hésitez pas le contacter en cliquant sur le lien ci-dessous.

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