Propos recueillis par Caroline Rainette

15 septembre 2022

Maxime Aulio est un compositeur français né en 1980 à Chartres. Il débute la musique en jouant de l’orgue et s’intéresse très rapidement aux percussions, au clavecin, puis au cor, instrument qu’il étudie plusieurs années au CRR de Toulouse.

Racontez-nous votre parcours

J’ai débuté la musique à l’âge de 9 ans en apprenant l’orgue. Mais j’étais sans doute trop jeune pour cet instrument. J’ai alors rejoint mon frère qui avait démarré la trompette à l’harmonie fanfare de Saint-Lys, l’Entente Saint Lysienne, en intégrant le poste de tambour. J’y ai appris la technique française traditionnelle, ce qui m’a beaucoup servi par la suite. Il n’y avait pas de percussion, le répertoire de l’harmonie étant traditionnel, néo-militaire, elle est d’ailleurs très connue pour son travail sur le répertoire napoléonien. Plus tard j’ai commencé le cor d’harmonie avec le chef d’orchestre qui était lui-même corniste. J’étais le seul cor de l’orchestre, ce qui me rendait très fier. En parallèle j’ai fait de la batterie, dans un style plutôt rock, à l’école de musique de Plaisance-du-Touch.

En grandissant, j’ai voulu sortir du répertoire néo-militaire, et j’ai quitté l’harmonie. Je suis arrivé au lycée Michelet à Montauban, en bac littéraire option musique, et je me suis inscrit au conservatoire de Montauban en percussions, cor d’harmonie et orgue. Cependant la classe d’orgue étant temporairement fermée, nous avons été dirigé en classe de clavecin. J’ai adoré cet instrument – que j’ai continué à pratiquer dès que possible -, son répertoire et ses compositeurs tel Couperin… Au lycée, comme j’étais interne je pouvais utiliser la salle de musique après le repas du soir. J’en ai profité pour écouter beaucoup de musique, lire des partitions d’orchestre, faire quelques improvisations au piano, utiliser l’ordinateur avec les premiers logiciels qui existaient alors et sur lesquels j’ai fait mes premières compositions, enregistrées sur disquettes.

Après le bac je suis entré au conservatoire de Toulouse, en classe de cor, et j’ai intégré l’orchestre d’harmonie du conservatoire, dirigé par Jean-Guy Olive. Je lui ai fait écouter mes premières compositions, et, malgré toutes les erreurs d’orchestration et d’harmonie, il m’a encouragé et un peu plus tard proposé d’orchestrer une œuvre de Déodat de Séverac pour le festival de Saint Félix Lauragais auquel l’harmonie participait. Je l’ai fait assez rapidement, si bien que j’en ai orchestré une deuxième. Jean-Guy Olive m’a alors proposé, pour l’année suivante, de composer une pièce pour l’harmonie. En 1999, j’ai donc écrit ma première pièce, Prophéties, Op.1,, une pièce burlesque autour de la fin du monde et du passage à l’an 2000. Même si la pièce est trop maladroite pour que je la diffuse, le concert s’est très bien passé, et j’ai décidé de continuer à composer. J’ai alors écrit pour des amis Arachnophobie, Op.2, un quatuor de saxophone, et Les Voyages de Gulliver, Op.3, ma pièce la plus jouée et ma première publication chez De Haske !

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A la fin de mes études de cor au conservatoire, tout en décidant de poursuivre la composition pour orchestre d’harmonie, je me suis tourné vers la direction. Sur les conseils d’Eric Colombain, directeur de De Haske France, je suis parti étudier à l’institut Lemmens de Leuven en Belgique, où j’ai fait un master en composition et direction pour orchestre d’harmonie, une spécialité rare en Europe. J’ai pu également y travailler, en cours individuel, l’harmonie, le contrepoint et la fugue, ce qui était une grande chance étant donné que j’en avais très peu fait auparavant. Nous avons également abordé la fanfare band, c’est-à-dire la vraie fanfare qui inclut les bugles, qui existait en France à la fin du XIXème et qui a aujourd’hui quasiment disparu alors qu’elle s’est exportée en Belgique et aux Pays-Bas où elle est encore très populaire. Nous avons aussi abordé le brass band, qui est de très haut niveau en Belgique. Je me suis alors mis au saxhorn alto et joué un peu dans un brass band.

Après le master, pour pouvoir vivre de mon métier et la composition étant beaucoup trop précaire financièrement, j’ai décidé de tenter les concours de chef dans les musiques institutionnelles professionnelles. J’ai passé celui de chef adjoint de la Musique des Gardiens de la paix de Paris. J’étais un peu angoissé car l’orchestre est de très haut niveau, avait déjà joué quelques-unes de mes pièces, et m’en avait même commandé une, le concerto pour quatuor de tuba Les trois Mousquetaires, Op. 8. Même si l’épreuve d’orchestration m’a permis d’arriver parmi les finalistes, j’étais trop fragile sur les autres épreuves. J’ai ensuite passé le concours de chef de musique militaire, où j’ai été reçu et affecté à la Musique Principale de l’Armée de Terre. Il s’agissait d’une grosse formation, d’une centaine de personnes. Cela a été une belle expérience de travailler avec cet orchestre. J’ai malheureusement démissionné cinq ans plus tard, et j’ai enseigné la direction d’orchestre et l’orchestre d’harmonie pendant une année au conservatoire de Tours ; mais n’ayant pas le CA je ne pouvais pas rester sur le poste. J’ai également enseigné le piano et l’analyse au conservatoire de Marly-le-Roi. Ces quatre dernières années je suis retourné à l’armée, à Versailles, en tant que civil, pour donner des cours de direction d’orchestre et d’orchestration pour les nouveaux chefs de musique, les tambours majors, les chefs de fanfares et les chefs étrangers. A l’été 2021 je suis parti au Portugal, où j’ai eu l’opportunité d’intégrer l’école supérieure de musique de Lisbonne en tant que professeur de direction et répertoire d’orchestres à vents.

Et la composition ?

Bien sûr je continue de composer, mais je suis un peu plus lent depuis quelques années, j’écris un peu moins. J’ai beaucoup écrit à une époque, mais maintenant j’ai peur de me répéter. C’est toute la problématique de l’esthétique, un compositeur peut avoir son esthétique, son langage, ses outils, mais c’est peut-être là qu’est la différence entre les génies et nous autres compositeurs plus modestes : Mozart ou Stravinsky ne se répètent pas, c’est leur esthétique. Nous autres, nous pouvons tomber dans la répétition. Mais qui sait, peut-être que les Mozart et Stravinsky avaient l’impression de se répéter ! Seul le temps pourra dire s’il y a des génies parmi les compositeurs d’aujourd’hui.

J’ai beaucoup de pièces en retard, souvent pour des solistes avec lesquels nous n’avons pas d’échéance, mais j’aime me laisser cette liberté de prendre le temps de réfléchir, faire des choses vraiment nouvelles, me concentrer sur une pièce le moment venu.

Cette année quelques pièces retardées par le Covid ont été créées :

  • le 30 janvier 2022, une pièce pour thérémine solo et ensemble à vents, The Day The Little Green Men Didn’t Attack Earth!, Op. 34, avec la Musique des Sapeurs-pompiers de Paris. C’est une pièce drôle que j’aime beaucoup, démarrée en 2014 à la demande du célèbre soliste néerlandais Thorwald Jørgensen ;
  • le 15 avril 2022, un concerto pour percussion, Film noir, Op.50, créé par l’Orchestre d’harmonie de Levallois et la soliste Adélaïde Ferrière ;
  • début août 2022, Sortilèges, Op.51, commandé et créé par l’orchestre Sortilège, à La Rochelle et alentours.

Je réfléchis actuellement à ma deuxième symphonie pour le Toulouse Wind Orchestra, qui m’avait invité à diriger en 2017 pour le concours de Kerkrade. Entre autres…

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Quand j’imagine du son, j’imagine l’image qui va avec.

Parlez-nous de votre méthode de composition. Quelles sont vos sources d’inspiration, vos compositeurs préférés ?

Au début je composais beaucoup au piano, comme de nombreux compositeurs. Avec le temps j’ai moins besoin de l’instrument, même s’il reste parfois nécessaire pour préciser des hauteurs, car je n’ai pas l’oreille absolue. Mais avec l’expérience, je sais entendre certains instruments, comme le hautbois par exemple, à la bonne hauteur sans avoir besoin d’eux. Aujourd’hui je peux donc mettre ma composition sur papier simplement par l’imagination, et juste utiliser le clavier pour être sûr des hauteurs et improviser un peu…

Mes sources d’inspiration viennent souvent de l’image, et non de musiques. Même mes compositions : j’ai souvent tendance à les associer à des images, à des traits, des photos. Nous sommes sans doute (trop ?) influencés par la société de l’image dans laquelle nous vivons. Ainsi quand j’imagine du son, j’imagine l’image qui va avec. Cela peut être l’image de l’orchestre qui joue, ou celle du chef qui dirige ce que je suis en train de composer. En effet, je fais souvent le lien avec mon travail de geste de chef d’orchestre, geste qui est là pour montrer aux musiciens la forme sonore.

L’image étant très importante pour moi, en début de carrière j’avais envisagé de composer pour des musiques de film, ce qui s’entend d’ailleurs dans mes premières œuvres qui sont influencées par des compositeurs comme John Williams. Mais ce métier a beaucoup changé, la production cinématographique est devenue commerciale, capitalistique, et l’aspect artistique souvent moins important. Beaucoup de compositeurs se retrouvent à devoir produire très vite de la musique, sous la contrainte d’autres décideurs. Si c’est trop créatif, trop nouveau, trop différent, ça ne plaira pas à la production qui ira voir un autre compositeur, ou même utilisera des bandes sons existantes. Tout ceci m’a refroidi, et puis surtout j’ai vécu l’expérience du concert, qui est bien plus enthousiasmante que l’enregistrement : le concert est une vraie prise de risque, cela demande de gérer son énergie, un accident peut arriver à tout moment et il faut savoir réagir. Le concert est vivant, on est dans la magie de l’instant.

Pour ce qui est de mes compositeurs préférés, je n’ai pas l’impression qu’ils m’influencent dans ma composition, en tout cas je n’en n’ai pas conscience. J’aime énormément Berlioz, Brahms, Schubert. Les baroques aussi : Rameau, Lully. Je ne suis pas enfermé dans une esthétique. Bien sûr Bach, mais c’est un compositeur d’une autre dimension, c’est presque nécessaire, il y a quelque chose de l’ordre du divin chez lui. J’aime aussi beaucoup les compositeurs russes : Stravinsky, Tchaïkovski, Rimski-Korsakov. Evidemment Debussy et Ravel. Mais aussi des compositeurs moins connus, comme Lili Boulanger, incroyable compositrice. En revanche j’essaie de ne pas trop écouter les contemporains, pour ne pas être influencé, ne pas récupérer de manière inconsciente des bribes de musique. En effet, nous sommes en permanence entourés de musique (lieux publics, médias innombrables, etc.), aussi est-ce très compliqué pour un compositeur : on attrape rapidement des boucles d’autres compositeurs qui trottent dans la tête. Il est nécessaire d’avoir du silence, pour se concentrer et ne pas être influencé.

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Il n’y a pas mieux que le monde amateur : les pratiquants sont là parce qu’ils ont envie, ils veulent découvrir en permanence. .

Quel est votre regard sur la pratique amateur ?

Il n’y a pas mieux que le monde amateur : les pratiquants sont là parce qu’ils ont envie, ils veulent découvrir en permanence. Dans le milieu professionnel, on peut vite tomber dans une routine, on se doit d’être là sans en avoir forcément envie. Dans une harmonie amateur, si un musicien n’aime pas, il n’y va pas, tout simplement. Il y aura des concerts avec les 80 musiciens, et d’autres, comme les cérémonies militaires, avec le tiers.

Curieusement, j’ai un peu retrouvé cette même envie du milieu amateur de jouer et d’être ensemble dans l’armée de terre. En effet, dans cet orchestre les musiciens sont ensemble tous les jours, ils se connaissent donc très bien et peuvent développer un rapport amical, ce qui influence inévitablement et positivement la volonté de faire de la musique ensemble, malgré les conflits qu’il peut y avoir entre certains musiciens. On rejoint ici le milieu amateur : le rapport humain est très fort et important.

Avez-vous une anecdote qui vous ait marqué ?

Mes meilleurs souvenirs sont ceux avec l’Ensemble Instrumental de l’Ariège, un orchestre amateur constitué de professeurs et d’étudiants, dirigé par Eric Villevière, que je considère un peu comme mon maître en direction d’orchestre car il arrive à réunir les énergies positives de l’orchestre pour les transcender. Il y a quelque chose d’intense dans cet orchestre, aucun conflit, c’est un groupe incroyablement soudé. Lors d’une petite tournée en été, nous nous sommes retrouvés dans un petit village des Pyrénées. L’orchestre jouait dans l’église, où nous avons eu bien du mal à caser tous les musiciens. Elle était archi bondée, des gens partout, y compris sur le parvis, tout le village était venu assister au concert. Ces gens n’avaient pas l’habitude de voir autant de musiciens, et pendant le concert nous avons commencé à voir des yeux en larmes. Nous-mêmes musiciens étions émus, nous n’osions pas nous regarder, nos yeux aussi étant humides. Une fois la pièce terminée, le public est resté contemplatif, sans applaudir, cela nous a paru une éternité, le chef lui aussi ému, restant immobile face à l’orchestre. D’un coup les applaudissements sont partis et ont duré très longtemps. Après le concert, le village avait organisé un repas pour tous, nous avons eu des fous rires incroyables, tous ensemble, 200 personnes à l’unisson, c’était hilarant et incroyable ! Je ne pensais pas vivre ça un jour, on en parle encore entre musiciens, 20 ans après…

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Je me laisse porter. Aujourd’hui il y a des questions qui nous dépassent et nous font réfléchir autrement : le changement climatique, l’effondrement du vivant… aussi je préfère ne pas me projeter. Je ne sais pas comment sera le contexte social et sociétal dans quelques années, si nous pourrons continuer à faire ce que nous faisons, alors je ne prévois rien.