Article rédigé par Louis Théveniau, Mustapha Boudjemai et Morganne Dreux.

Réunis au conservatoire d’Auxerre pour le 124ème congrès de la Confédération Musicale de France (CMF), bénévoles, musiciennes et musiciens amateurs et professionnels ont participé à la table ronde « Quelle place, quels rôles et quels enjeux pour les écoles de musique associatives du réseau dans l’écosystème de l’enseignement artistique ? ».

Cette table ronde, animée par le directeur de la CMF Mustapha Boudjemaï était composée de Christophe Morizot (Président de la CMF), Delphine Castineira (Présidente de l’Ecole intercommunale de Musique de Pézenas), Franck Fumoleau (Directeur Général association des CMR), Frédéric Gerdil (Président Fédération Musicale du Chablais), Dominique Jougla (Trésorier adjoint de la CMF et Président CMF Gironde) et Barbara Leulier-Rochelois (Responsable Pédagogique du Conservatoire à Rayonnement Départemental d’Auxerre).

La Confédération Musicale de France est une association qui regroupe près de 4000 ensembles musicaux et plus de 1300 établissements d’enseignement artistique sur le territoire national. Depuis plus d’un siècle, et plus encore depuis les années 50, les adhérents de la CMF, majoritairement constitués en association et animés par leurs fédérations régionales et départementales, ont contribué à la « démocratisation » de l’accès à la culture, l’éducation et aux loisirs, en particulier à travers une approche de la pratique musicale qui conjugue à la fois apprentissage individuel et pratique collective. Parallèlement à l’apprentissage musical, les bénévoles et professionnels qui animent ce réseau sont des acteurs indispensables à la pérennisation des pratiques artistiques en amateur et portent des valeurs sociales de d’inclusion, de partage, de respect et de vivre ensemble, fondamentales à notre société. Ainsi, les écoles de musique associative du réseau jouent pleinement un rôle d’éducation populaire et s’inscrivent dans le champ de l’économie sociale et solidaire.

Toutefois, la pérennisation de leurs actions et de leurs activités, ne va pas de soi. Le contexte actuel, traversé par de multiples mutations sociales, sociétales, technologiques, institutionnelles, urbaines, ainsi que par des tensions dans les crédits publics, oblige à une perpétuelle adaptation. Ces évolutions ont pu modifier le panorama de l’offre culturelle, les modalités de pratiques artistiques, mais aussi le rapport des citoyens à la collectivité, aux services, a fortiori dans certains territoires auxquelles s’ajoutent des problématiques d’accès au service, au transport, d’isolement, d’inclusion économique, sociale, etc.

Si la majorité des participants et intervenants ont fait état de difficultés, tous ont également exprimé leur vive volonté de les surmonter et de continuer à militer en faveur d’une pratique et un apprentissage de la musique accessibles pour tous et avec tous. Ainsi, le réseau de la CMF est soucieux de mettre en œuvre les démarches nécessaires pour prendre en compte et résoudre ces divers défis : en s’adaptant au contexte, en faisant évoluer ses propres pratiques, mais aussi en mobilisant les citoyens, les différents acteurs et notamment les pouvoirs publics pour réaffirmer tout l’intérêt pour la collectivité d’investir pour préserver ce modèle d’action et cette offre associative qui constitue un espace d’expression artistique et citoyenne.

C’est dans l’objectif d’approfondir l’analyse des problématiques et des enjeux spécifiques à ces écoles de musique que cette table ronde a été organisée.

Les séquelles de la crise COVID

« Les écoles de musiques ont été percutées par la crise COVID et ont eu à gérer des choses qu’elles n’avaient pas eu à gérer avant » introduit Christophe Morizot, Président de la CMF. Malgré une accalmie financière pendant la période COVID, cette crise a impacté directement les associations et écoles de musique. Tout d’abord, l’accroissement des responsabilités des bénévoles, souvent peu formés à la gouvernance associative, a développé des craintes et des réticences à accéder à ces postes. Ensuite, cette crise a également eu pour conséquence « d’aller à l’encontre de toutes les valeurs associatives de la CMF, qui sont d’aller à la recherche et à la rencontre de l’autre » exprime Frédéric Gerdil. D’autre part, il constate qu’« il y a de plus en plus une scission entre ce qu’est le monde associatif et ce qu’est le monde municipal ou intercommunal » de par l’obligation d’avoir un pass sanitaire pour exercer dans l’associatif, contrairement aux établissements publics. En étant qualifiés de « non essentiels » durant la crise COVID, les métiers de l’enseignement ont perdu en attractivité Cela se traduit par une quête de légitimité que Barbara Leulier-Rochelois exprime « il faut que les enseignants justifient le fait qu’ils sont essentiels, qu’ils forment les citoyens de demain parce qu’on leur inculque des valeurs de partage, de rencontre, de respect. ». Aujourd’hui, Il faut encore régler les problématiques sociales et économiques engendrées par cette crise tout en faisant face à une crise économique sans précédent, obligeant d’ores et déjà certaines structures d’enseignement artistique à fermer.

Le budget de l’école de musique, à la recherche de nouveaux modèles

La table ronde a témoigné de la diversité des modèles économiques, en particulier la part variable des subventions publiques dans le financement des écoles de musique associatives. Le point commun de toutes les structures réside dans la perte significative des financements publics. Parallèlement à ce désengagement, la valeur du point d’indice concernant la rémunération des professeurs et animateurs techniciens de la convention Eclat augmente, ce qui est très positif pour les salariés, mais augmente la masse salariale des associations. « La réalité est que tous les mois, il y a la pression du paiement de la masse salariale » évoque Delphine Castineira. « Les valeurs de la pratique amateur sont percutées car la tarification ressemble fortement à celle d’une entreprise. » La hausse des tarifs liées aux problématiques budgétaires pose des questions en termes d’accessibilité, notamment au regard des tarifications des établissements publics, et va à l’encontre des valeurs d’éducation populaire de la CMF. D’autre part, de nouvelles concurrences se . Cette concurrence est au détriment des écoles de musiques associatives, d’autant plus que « Des écoles de musique de quartier ou MJC perdent des élèves au profit de ces magasins » exprime Dominique Jougla. En réponse à ces difficultés, la table ronde a évoqué l’importance de la diversification des financements, notamment la réponse aux appels à projets, le mécénat, ainsi que la co-construction de projets communs, notamment avec les centres sociaux culturels. Un exemple de collaboration a été partagé par un membre de l’assemblée concernant l’éveil musical qui s’effectue dans ces structures, financé par la Caisse d’Allocation Familiale. Ces problématiques financières engendrent un désengagement et une fatigue des bénévoles induisant une crise des gouvernances des associations qui peinent à pourvoir les postes au sein des bureaux associatifs. Cette fatigue est décrite par Franck Fumoleau « l’engagement bénévole est de plus en plus compliqué. Il y a de moins en moins de plaisir à l’engagement du fait des contraintes de gestion et de travail très long pour équilibrer les comptes avec la recherche de financement, notamment auprès des élus. »

Acteurs de l’enseignement et publics, des attentes qui évoluent

Au-delà des problématiques budgétaires et de la tarification, Barbara Leulier-Rochelois évoque le fait que « les attentes des familles ont changé, mais pas forcément tant que ça ». Le manque d’attractivité des structures d’enseignement vient du fait que « Les conservatoires portent encore les stigmates de l’austérité de l’enseignement du conservatoire conservateur ». Bien que les attentes soient sensiblement les mêmes, le modèle familial évolue et induit des choix de pratique musicale différent de la part des familles : « avec un modèle familial qui change, un cours à domicile à l’heure qui convient, un lieu qui convient, les cours à domicile deviennent attrayants » constate dans l’assemblée Jeannine Spenlé, administratrice de la CMF. Cela est corroboré par Maxime Lavoine, administrateur de la CMF Hauts-de-France, qui évoque « des parents qui ne veulent plus faire une demi-heure de route pour aller se rendre dans un centre d’examen. » et, du fait des recompositions familiales, « Il y a des enfants qui ne peuvent venir qu’une semaine sur deux. » Ces changements sociétaux obligent les écoles de musique et enseignant.e.s à s’adapter. Pour autant, ces derniers ne sont pas accompagnés et pris en compte dans ces évolutions.

Les attentes des enseignants évoluent. Cela se constate par la baisse de l’attractivité du métier et de recrutement, conséquence notamment du fait « qu’il y a de moins en moins d’étudiants dans les formations au DE ou DUMI. Il faut penser cette formation autrement » indique Franck Fumoleau, d’autant plus que « la population et la société ont changé mais la formation proposée aux enseignants, n’a pas évolué et nous ne sommes pas outillés » explique Barbara Leulier-Rochelois.

D’autre part, le manque d’attractivité provient du fait que « Ce sont des métiers extrêmement peu payés, et, dans la fonction publique territoriale, il y a une difficulté liée au cumul d’activité avec, en fonction du volume horaire, l’interdiction de travailler ailleurs ou d’être artiste parce que la priorité, c’est l’employeur principal. » évoque Barbara Leulier-Rochelois et, Dominique Jougla témoigne du fait qu’ « Aujourd’hui, dans les entretiens d’embauche, nous pouvons entendre des candidats ne souhaitant pas s’engager à travailler des week-end car ils ont un groupe et doivent faire des concerts. » Par ailleurs, un phénomène nouveau se développe « des professeurs démissionnent des écoles de musique pour se mettre au statut d’auto-entrepreneur pour faire des cours à domicile défiscalisés pour les familles ».

Vers de nouvelles pratiques pédagogiques

Du point de vue pédagogique, « Les professeurs sont un petit peu désemparé, découragés car les élèves n’ont pas le temps de s’impliquer dans leur parcours artistique » explique Dominique Jougla. Cependant, et malgré une image encore vieillissante des conservatoires, Barbara Leulier-Rochelois affirme qu’« il y a quand même énormément d’évolutions dans les contenus et dans la façon dont ils sont proposés. ». Si le cours particulier semble séduire les familles, l’apprentissage par les pratiques collectives est source de motivation. « Il y a de l’implication lorsque l’on organise des stages de pratique collective. » constate Dominique Jougla, « Il y a donc un enjeu d’attractivité à jouer ensemble ». Pour que cette évolution puisse avoir lieu, Delphine Castineira souligne « qu’il y a des accompagnements aux changements à opérer pour pérenniser les écoles de musique, notamment sur la formation musicale avec instrument ».

Donner du sens à l’évaluation pour les organisateurs, comme pour les élèves, est un enjeu important qui doit être questionné. « Les écoles de musique sont devenues assez importantes pour être autonome et le brevet d’étude musicale lié au Schéma Départemental d’Enseignement Artistique est devenu la référence faisant perdre 80 à 85% des inscriptions au brevet CMF. Il n’y a donc plus de nécessité à dépenser ce qui à l’époque représentait quelque chose comme 40 à 50% du budget de la fédération. » indique Frédéric Gerdil. Il est bien entendu que les politiques et les schémas départementaux sont différents selon les territoires, mais ces propos soulèvent également la question de la légitimité des diplômes de la CMF, cursus et niveaux des élèves, remis en question souvent par la mobilité des élèves, notamment vers les conservatoires. Pour cela, Barbara Leulier-Rochelois répond que l’«  On serait capable de faire des choses merveilleuses en étant davantage dans la co-construction. Cela nécessite une meilleure structuration, une harmonisation des contenus et des approches ».

Davantage de pratique collective dans l’enseignement permet également de créer plus de liens avec les associations de pratique en amateur, actrices incontournables de la vie culturelle des territoires. « Pour les élus il y a un intérêt d’avoir une école de musique et une harmonie sur son territoire car il y a un retour sur investissement. Les élèves qui prennent des cours de musiques et coûtent de l’argent à la collectivité, vont par la suite participer à l’activité culturelle du territoire » exprime Thierry Bourguignon, Vice-Président de la CMF. Cependant, le lien entre l’enseignement et la pratique amateur ne va pas toujours de soi, un membre de l’assemblée témoigne qu’« Il y a parfois des réticences de la part des professeurs de la structure publique à ce que les élèves viennent jouer dans l’harmonie ».

Développer l’apprentissage par le collectif et les liens avec la pratique amateur sont des moyens permettant de développer la motivation, l’implication des musiciennes et musiciens formés au sein des structures d’enseignement, et surtout, du plaisir à pratiquer la musique. « Dès lors que l’on crée un environnement qui est synonyme de plaisir, on peut regagner du terrain et convaincre davantage les publics. » exprime Barbara Leulier-Rochelois. Cependant, les échanges soulignent qu’il reste encore beaucoup d’obstacles financiers et administratifs à surmonter, mais aussi un enjeu d’accompagnement des différents acteurs de l’enseignement artistique dans les évolutions sociales, sociétales et pédagogiques. « La pratique de la musique est un acte citoyen. Pour faire société avec un instrument, il faut d’abord avoir les moyens d’apprendre cet instrument. » conclut Delphine Castineira.

Cette table ronde à mis en exergue les problématiques transversales au milieu de l’enseignement artistique et des pratiques en amateur. Cependant, l’optimisme réside dans la perspective de « faire ensemble » à tous les niveaux. Si le soutien et la reconnaissance des collectivités et instances publiques nationales est nécessaire, il est également essentiel de renforcer les liens entre les structures publiques et celles de l’éducation populaire afin de développer des projets communs et affirmer nos complémentarités.